Marseille : une formation pour «briser le plafond de verre» du numérique

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Dans un HLM d’un quartier populaire de Marseille, une dizaine de jeunes dessinent des immeubles sur des ordinateurs: en leur enseignant robotique, modélisation 3D ou développement web, une association veut «briser le plafond de verre» du numérique, un des secteurs recrutant le plus. «Vingt millimètres de hauteur, cinq de largeur et neuf fenêtres»: Fatera Charbal, encadrante de cette formation dans le quartier du Clos de la Rose (13e arrondissement), énonce ses instructions. «Nous, on n’a pas de diplôme et là on se retrouve à être architecte», s’amuse Helia Hammache, 25 ans, en montrant les bâtiments qu’elle a créés sur un logiciel de modélisation 3D, dans cette «fabrique numérique» de l’association Avec Nous qui accueille ce jour-là une dizaine d’élèves âgés de 17 à 29 ans.Trois jours par semaine pendant deux mois et demi, ces jeunes qualifiés d’»invisibles» par les pouvoirs publics (ni en emploi, ni en formation), suivent une formation pré-qualifiante aux métiers du numérique. Elle est labellisée et subventionnée par La Grande Ecole du Numérique, un groupement d’intérêt du gouvernement français. Depuis la 1ère formation en octobre 2019, cette association d’habitants a déjà accueilli une cinquantaine d’«apprenants», dont certains suivent aujourd’hui des études de code. «On veut briser le plafond de verre» du numérique, insiste Fatima Mostefaoui, présidente et fondatrice d’Avec Nous, qui espère voir ces jeunes devenir auto-entrepreneurs, ou créer leurs entreprises dans le numérique dans les quartiers populaires. A Marseille, ils s’étalent notamment du 13e au 16e arrondissement – les «quartiers Nord» – et couvrent des zones parmi les plus pauvres de France. En 2017, le taux de chômage y oscillait entre 20 et 25%. »Oh non, j’ai tout effacé!», s’exclame Hélia du bout de la table. «Fais «control Z»», lui lance avec enthousiame Samba, qui vient d’apprendre ce raccourci clavier essentiel pour annuler la dernière action. Au quotidien, ce doyen du groupe, qui préfère ne pas donner son nom de famille, se sert seulement de son téléphone, mais presque pas de son ordinateur. «On dit que c’est la génération qui est née là-dedans, mais quand ils arrivent, certains ne savent même pas envoyer un mail», explique Sahra Bedrouni, chargée de mission, qui gère les formations et recrute ses talents au pied des tours ou dans des snacks. Dans les quartiers populaires, tous n’ont pas d’ordinateur, ni de connexion internet, rappelle-t-elle. Pendant le confinement, l’association avait lancé l’initiative «Partage ton wifi» et prêté des ordinateurs à des élèves. «Ils croient que (la programmation), c’est inaccessible, alors qu’en fait, ils peuvent le faire», insiste Mme Charbal. Quand ces jeunes, qui ont souvent une histoire scolaire compliquée, y arrivent, «ça les booste». Dans l’atelier du Clos de La Rose, cela ne fait que trois jours que la formation a commencé, mais les apprenants savent déjà se servir de l’imprimante 3D et d’un découpeur-graveur laser pour créer de petits objets. A la fin de la formation, ils seront capable de construire et programmer un petit robot, créer et faire marcher un circuit électronique ou encore créer un site web. «On pense que c’est impossible, qu’il faut de l’argent, des connaissances, mais en fait non, il faut juste être manuel», estime Zidane, observant le balai de l’imprimante 3D qui modèle un porte-clé à son nom. Souffrant de dyslexie, Zidane espère reprendre un CAP carrosserie après la formation… «ou peut-être, comme ça me plait, continuer là-dedans», sourit-il. «Tout le monde ne deviendra pas codeur à l’issue de la formation» prévient cependant Mme Charbal, «mais le but est de leur ouvrir cet horizon» et, comme 80% de ceux qui sont déjà sortis, les pousser vers une formation, un contrat professionnel ou un CDD. Selon un rapport datant de 2015 de France Stratégie, une institution rattachée au Premier ministre, 190.000 emplois seraient à pouvoir entre 2012-2022 dans le secteur du numérique.