Musique et classements : un sujet sensible

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Le classement des ventes musicales est toujours escorté de soupçons de triche, des bacs à disques d’hier au streaming d’aujourd’hui: ce sujet sensible doit être abordé dans un prochain rapport du Centre national de la musique (CNM). Les esprits sont toujours prompts à s’enflammer. Surtout dans le rap, domaine hyper-concurrentiel et friand des classements hebdomadaires (tête des ventes, meilleur démarrage, etc…). Début février, le rappeur Vald s’en prend sur ses réseaux sociaux au Snep (Syndicat national de l’édition phonographique) pour le top des ventes qui tarde à être publié. Il l’est finalement, avec Vald en champion de la semaine… taxé immédiatement de tricheur par Booba. Au-delà de cette prise de bec, l’état des lieux du dopage des ventes actuel reste à dresser, dans sa nature et sa mesure. Les combines du passé sont connues. Comme ces camions de labels qui vidaient les bacs pour faire grimper les ventes et attirer l’attention, avant de remettre les albums en rayons. Avec les révolutions technologiques dans la musique, le brigandage a évidemment évolué. Aujourd’hui, «la fraude s’est déplacée vers des faux comptes sur les plateformes musicales. On peut acheter des comptes pirates sur le «dark web» ou via des boites qui ont pignon sur rue», éclaire Sophian Fanen, auteur du livre «Boulevard du Stream». Mais ce spécialiste glisse aussi qu’il y a «pas mal de fantasmes». Le CNM, pour étayer son futur rapport, a demandé aux plateformes de collaborer. «Spotify, Deezer, Qobuz jouent le jeu. Apple Music et Napster aussi, dans un degré moindre mais la communication fonctionne avec nous. Les autres, non», détaille Jean-Philippe Thiellay, président du CNM. A quoi les plateformes sont-elles confrontées ? «On a d’abord vu des artistes émergents se créer artificiellement un volume d’écoute ou un volume de followers sur les réseaux – la fraude ne concerne pas que les plateformes musicales – pour démarrer une carrière», dévoile Ludovic Pouilly, qui s’occupe des relations institutionnelles et avec l’industrie musicale chez Deezer. «Depuis plus d’un an, on voit des artistes, avec une notoriété plus établie, qui ont des vrais streams mais vont chercher des streams artificiels pour accompagner un positionnement dans les charts», expose ce responsable. Face à une «fraude de plus en plus sophistiquée, une guerre un peu sans fin», Deezer s’organise avec un département dédié dès les années 2010, avec des algorithmes et du «machine learning», des outils qui apprennent en fonction des cas qu’on leur présente. Par exemple, «un compte qui streame massivement un album toute la nuit, c’est un comportement atypique et c’est «alerte rouge» chez les plateformes», illustre Sophian Fanen. Mais «une des astuces est de saupoudrer les faux streams, avec une demi-heure de tel album par-ci par-là, et pas 5 heures. C’est plus complexe à repérer», rebondit le spécialiste. Pour Sophian Fanen, plutôt que de tenter d’armer des «milices numériques» face à des «méchants qui ont toujours un temps d’avance», le «fond du sujet est de changer la culture du stream». Et de prôner un changement de répartition par les plateformes. Actuellement, comme il le décrit, c’est «la prime au vainqueur». Les sommes des abonnements sont mises dans un pot commun, reversé quasi intégralement aux gros vendeurs, et donc pas forcément aux artistes écoutés par un abonné. L’alternative serait le système du «user centric»: chaque abonnement payé irait à l’artiste effectivement écouté. «Ainsi, je ne pourrai pas générer une fraude qui dépasse le prix de mon abonnement», martèle Sophian Fanen. «Le «user centric» tuerait une partie de la fraude, celle qui consiste à acheter des streams mais d’autres types de fraude continueraient, à travers des comptes hackés dans le «dark web» par exemple», établit Ludovic Pouilly. Et de conclure: «Si on laisse s’installer la fraude, des artistes ne vont pas toucher ce qu’ils devraient, seront privés d’une part de marché».