Quand les coûts des séries explosent, l’audiovisuel bataille pour rester rentable

156

Comment continuer à produire des séries haut de gamme et rester rentable quand les coûts explosent? Chaînes de télé et géants du streaming explorent différentes pistes, allant de la coproduction à la réduction des formats. «Face à la fin de l’argent bon marché, quel est l’avenir du financement des séries?», «Nouvelles manières d’optimiser vos budgets de production»: ces tables-rondes organisées lors du récent MipTV à Cannes sont révélatrices d’un nouveau cycle. En France, la filière audiovisuelle, déjà éprouvée par la crise sanitaire, «pâtit depuis 2021 de la hausse conjoncturelle des coûts», constatent dans leur dernier rapport le régulateur, l’Arcom, et le Centre national du cinéma (CNC). En moins de dix ans, le secteur a profondément évolué avec la montée en puissance des géants américains du streaming et leur offre de séries et longs-métrages maison. Sans compter la réglementation européenne qui les oblige à financer la production locale. Conséquence: la filière connaît une forte augmentation de la demande de fictions, particulièrement de productions haut de gamme. «On ne peut plus aller en-dessous de ce à quoi on a habitué les spectateurs, des fictions chères», dit Iris Bucher, productrice d’oeuvres à succès comme «Le bazar de la charité» ou «Vortex». Hors séries quotidiennes, le coût horaire moyen de la fiction française a atteint 1,2 million d’euros en 2021 contre 959.000 en 2012, selon l’Arcom et le CNC. «Cette évolution crée un excès de concurrence à l’achat», pointe leur rapport. Avec souvent pour vainqueurs les géants du streaming qui, forts de ressources considérables, provoquent «une montée artificielle des prix». Des professionnels évoquent un coût de «2 à 5 millions d’euros» pour «un épisode de série française ambitieuse produite pour un service de vidéo à la demande». Pour les films sur petit écran, là où «Athena» ou «Loin du périph» (Netflix) dépassent les 15 millions d’euros, «le coût moyen d’une fiction audiovisuelle unitaire diffusée» par une chaîne traditionnelle est de 2,5 millions d’euros, précisent l’Arcom et le CNC. Pour rester dans la course, les chaînes pensent désormais alliances, y compris avec leurs rivaux. TF1 mise sur le «développement d’un partenariat plus structuré avec les grandes plateformes», expliquait fin mars son PDG Rodolphe Belmer au festival Séries Mania. Objectifs: «avoir des programmes bien financés», mais remplir la grille à moindre coût en faisant en sorte «que le financement soit partagé par d’autres». «Tout le monde est gagnant», considère Iris Bucher, pionnière de ces cofinancements avec «Le Bazar de la charité» puis «Les combattantes», d’abord diffusées sur TF1 puis disponibles sur Netflix. «Une forme de multi-fenêtrage (diffusion d’une même oeuvre sur différents canaux, ndlr) se met en place pour que le contenu soit financé par plus de monde», ajoute Frédéric Vaulpré, directeur de Glance, filiale internationale de Médiamétrie. Il cite le «cas très intéressant» du film «Elvis» (2022): «Il est sorti en salles, puis a été proposé (en achat payant à l’acte) sur Amazon Prime, puis sur (la chaîne câblée) HBO Max». En revanche, les coproductions d’envergure entre chaînes traditionnelles ne concernent qu’une «poignée de séries», déplore Alexandra Lebret, DG du Club des producteurs européens. «Les coproductions internationales représentent 8% de l’ensemble des titres de fiction et se limitent principalement aux téléfilms et aux séries de 2 ou 3 épisodes», relève une étude de l’Observatoire européen de l’audiovisuel. Principale initiative, l’Alliance européenne, nouée en 2018 entre France Télévisions, la RAI (Italie) et la ZDF (Allemagne), a donné naissance à neuf séries à gros budget, comme «Le tour du monde en 80 jours». «C’est difficile pour une chaîne de convaincre sa direction d’investir sur un programme qui n’est pas forcément national», analyse Alexandra Lebret.