La Télévision Suisse Romande (TSR) vient d’interjeter appel devant le Tribunal de Fribourg dans le cadre d’une plainte pour concurrence déloyale qu’elle a déposé contre M6. Gilles Marchand, Président de la TSR, tient à faire respecter ses droits, car il estime que l’enjeu de cette affaire est l’existence même de la Suisse francophone en tant que zone de droit audiovisuel.
média + : Dans le cadre d’une plainte pour concurrence déloyal contre M6, vous venez de faire appel auprès du Tribunal Fédéral de Fribourg, pouvez-vous revenir sur cette affaire et vos motivations ?
Gilles Marchand : Cela fait plus de six ans que nous sommes en procédure, c’est une affaire très complexe. Il s’agit d’une ouverture de fenêtre publicitaire en Suisse consécutive à la création d’un deuxième signal de M6 qui arrose spécifiquement le territoire suisse. Le deuxième signal de M6 bénéficie d’une émission satellitaire spécifique qui vise à reprendre exactement le programme français mais aussi à ouvrir des plages publicitaires pour des annonceurs suisses. M6 a décidé de manière auto-proclamée d’investir le marché suisse de cette manière pour refinancer son programme français. Nous achetons tous les deux des fictions sur le marché international. Nous nous battons de manière très volontariste contre cette stratégie car nous considérons que c’est inadmissible qu’un programme acheté pour le territoire français soit commercialisé en Suisse romande alors que pour ce territoire nous avons acheté les droits exclusifs. Nous tolérons évidemment le «débordement naturel». Moi j’émets sur 5-10 km en France, M6 sur toute la suisse car elle a des relais à travers le câble, jusque-là ça va, mais à partir du moment où M6 utilise son achat français pour le refinancer en Suisse alors nous estimons qu’il y a concurrence déloyale car il nie notre capacité de droit audiovisuel.
média + : Quelles peuvent être les conséquences sur la production?
Gilles Marchand : Si nous n’arrivons pas à protéger le territoire suisse francophone en matière de droit audiovisuel, notre capacité à faire de la production ou de la co-production est mis en péril notamment avec des partenaires français, car cette co-production repose sur le fait que nous avons des eaux territoriales distinctes. Cette affaire va bien au-delà d’une simple considération économique sur le marché publicitaire. Tous les producteurs de film, français également, ont réagi de manière très négative à cette offensive de M6. Si nous ne pouvons plus garantir notre part de la co-production, les producteurs auront beaucoup de mal à monter leur projet. En Suisse, les auteurs, les réalisateurs, les producteurs indépendants sont très inquiets. Et cela fait réagir aussi les autres acteurs du marché, je pense aux éditeurs de presse, notamment la presse Magazine, qui se rendent bien compte que cette nouvelle donne sur le marché audiovisuel de la Suisse francophone risque de bouleverser considérablement les structures de l’investissement publicitaire.
média + : Que répondez-vous lorsqu’on vous dit de vous tourner vers les maisons de productions américaines qui vous ont accordé les licences d’exclusivité ?
Gilles Marchand : Notre problème, c’est que le Tribunal de Fribourg nous a dit être d’accord avec TSR sur le fond, mais que sur la procédure, ce sont les ayants-droits, c’est-à-dire les majors américaines qui devraient attaquer M6. D’abord pour les majors américaines, la Suisse romande est une chose relativement abstraite, deuxièmement nous avons face à nous le Groupe RTL. Les majors devraient protéger leur marché mais c’est un marché moins important que le marché primaire acheté par RTL. Nous avons fait appel car nous essayons de démontrer que c’est nous qui subissons le tort et non les majors américaines.,Il y a des enjeux considérables, avec le sport par exemple, imaginez ce que ça va être avec le championnat d’Europe. D’ailleurs pendant la dernière coupe du monde en Allemagne, nous avions nous les droits pour l’équipe suisse et nous avons diffuser tous les droits. M6 avait acheter des droits pour la première partie de l’épreuve en France. Lorsque M6 a diffusé sur son signal Suisse les matches qu’ils avaient achetés pour la France elle mettait un écran noir. La Fédération internationale de football et l’UEFA sont basés en Suisse, or les pénalités contre M6 auraient été considérables. Or ce qu’elle n’ose pas faire avec le foot, M6 le fait avec la fiction pour lesquelles les propriétaires des droits se trouvent à l’autre bout de l’Atlantique. J’aimerais entendre M6 à ce sujet.