Une nouvelle ère va s’ouvrir pour «Libération»

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Une nouvelle ère va s’ouvrir pour «Libération» : Altice France se sépare du journal pour le transférer dans une société à but non lucratif, un dispositif inédit pour un quotidien en France et censé garantir l’indépendance du titre, dont les dettes seront épongées. «Cette nouvelle structure garantit à «Libération» sa totale indépendance éditoriale, économique et financière», précise le groupe dans un courriel envoyé en interne. Cette nouvelle structure déclenche l’ouverture d’une clause de cession (un dispositif qui permet des départs volontaires) dans le journal qui compte 200 salariés. Concrètement, Altice France (également propriétaire de BFMTV, RMC et SFR) va créer un «Fonds de Dotation pour une presse indépendante», qui acquerra, via une filiale (Presse Indépendante SAS) le journal, sa régie et sa société de développement technologique. Ce dispositif s’inspire de celui adopté par le site Mediapart en 2019, lui-même imaginé à partir du modèle unique au monde du «Scott Trust», qui protège depuis les années 1930 le quotidien britannique «The Guardian». Le groupe Altice s’engage à «doter substantiellement ce Fonds de Dotation pour permettre à «Libération» de rembourser l’intégralité de ses dettes mais aussi de lui donner, progressivement, les moyens nécessaires au financement de son exploitation future et ainsi garantir son indépendance à long terme». «Libération» «deviendra ainsi la propriété d’une structure non cessible et non capitaliste à but non lucratif», souligne le groupe de médias et de télécoms de Patrick Drahi. Les dettes de «Libération», qui n’est pas bénéficiaire contrairement à Mediapart, se situent entre 45 et 50 millions d’euros, de source interne. Le c.a. s’est toutefois stabilisé et les abonnements numériques ont été multipliés par 6 en 2 ans. La diffusion a également progressé de 6% en 2019, à 71.466 exemplaires, selon l’ACPM. «Cela n’était plus pertinent pour «Libé» d’être le seul titre de presse écrite au sein du groupe», qui s’est séparé de «L’Express» l’an dernier (l’hebdomadaire est devenu la propriété à titre personnel du patron d’Altice France Alain Weill). Patrick Drahi, le fondateur d’Altice «continuera, personnellement, d’accompagner l’avenir de «Libération»», précise le courrier ajoutant que «tout mécène pourra abonder le Fonds de Dotation à des fins non lucratives et sous réserve de l’agrément de son conseil d’administration», et qu’«aucun droit ne sera accordé en contrepartie de ces donations». Si «Libération» dégage des profits, ils seront intégralement redistribués à des associations caritatives comme la Fondation de France pour son programme de soutien à Reporters Sans Frontières, la Fondation Hôpitaux de Paris et Hôpitaux de France et la Fondation SFR au profit de l’accès au numérique pour des publics fragiles. La gouvernance de «Libé» reste inchangée, avec 2 cogérants, qui sont aujourd’hui Laurent Joffrin (jusqu’à la fin de l’année) et Clément Delpirou (jusqu’à mi-juin). Le remplaçant de ce dernier, sur le départ, n’a pas encore été nommé. Le CA du Fonds de Dotation sera composé de Laurent Joffrin, d’Arthur Dreyfuss (le DG d’Altice Média), et de Laurent Halimi (directeur des fusions acquisitions d’Altice Europe). Le remplaçant de Clément Delpirou dirigera la filiale Presse Indépendante SAS. Si les fondateurs de «Libé» en 1973, Jean-Paul Sartre et Serge July, rêvaient d’un journal libéré des financiers, ces dernières décennies ont vu défiler une longue liste d’hommes d’affaires à son chevet. Après des mois de crise et de quasi-faillite, c’est le magnat des télécoms Patrick Drahi qui le renfloue en 2014, en devenant le principal actionnaire. Dans la foulée, Laurent Joffrin revient pour la 3ème fois chez «Libé» en tant que directeur de la publication et de la rédaction, en remplacement de Nicolas Demorand. Une centaine de journalistes, dont plusieurs signatures historiques, quittent alors le journal et une nouvelle formule est lancée.