Venise : «Tatami», fruit de la coopération inédite d’un duo de cinéastes de deux pays ennemis, l’Iran et Israël

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Première mondiale au festival de Venise, où a été présenté «Tatami», fruit de la coopération inédite d’un duo de cinéastes de deux pays pourtant ennemis irréductibles, l’Iran et Israël. Présenté dans la section parallèle de la Mostra «Horizons», cet opus raconte le combat d’une judoka iranienne, Leila, et de son entraîneuse Maryam, qui refusent pendant des mondiaux en Géorgie de se plier à l’oukase de leur gouvernement de leur faire abandonner le tournoi pour ne pas affronter une athlète israélienne. «J’ai appris à l’école qu’Israël n’existe pas», a raconté dimanche Zar Amir, la coréalisatrice du film dans lequel elle interprète aussi le rôle de Maryam. «Donc nous ne sommes pas autorisés à travailler ensemble, à nous rencontrer, à nous lier d’amitié ou à affronter en compétition cet ennemi imaginaire», dit-elle dans un soupir.Native de Téhéran, Zar Amir vit elle-même en exil en France, et est donc «libre de choisir ces sujets», qu’elle a «la responsabilité» de raconter. Le film «va avoir aussi une dimension politique mais ce n’est pas mon problème». Elle avait remporté le prix d’interprétation à Cannes en 2022 pour son rôle de journaliste pugnace dans «Les nuits de Mashhad», un thriller sur un tueur en série de prostituées dans la principale ville sainte iranienne.  «En Iran, les cinéastes ne peuvent pas vraiment dire la vérité, ils peuvent travailler (sur ces sujets) mais ce ne sera toujours que la moitié de la vérité», déplore-t-elle, tandis que Téhéran a déjà ciblé et placé en détention des réalisateurs accusés de propagande contre le régime, comme Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof.Le cinéaste iranien Saeed Roustaee et son producteur ont été condamnés cette année à six mois de prison pour la projection de leur film «Leïla et ses frères» (interdit de diffusion en Iran) en compétition officielle en 2022 au festival de Cannes. Ce dernier avait dénoncé «une grave atteinte à la liberté d’expression des artistes, cinéastes, producteurs et techniciens iraniens. Le coréalisateur du film, Guy Nattiv, auteur de «Skin» (2018) et de «Golda» avec Helen Mirren dans le rôle de la Première ministre israélienne Golda Meir, n’hésite pas à faire un parallèle audacieux entre l’Iran et Israël. «Miraculeusement, une sorte de révolution est en cours en Israël et en Iran. En Israël, c’est contre ce que fait Benjamin Netanyahu contre la démocratie (…) Nous sommes des pays en quelque sorte semblables qui vivent le même processus d’une certaine façon», explique-t-il à l’AFP, assis à côté de Zar Amir à deux pas du palais du cinéma sur le Lido. L’actrice de 42 ans se veut de son côté «pleine d’espoir et positive» concernant le mouvement déclenché il y a un an, en septembre 2022, par la mort à 22 ans de Mahsa Amini après avoir été arrêtée par la police des moeurs pour avoir prétendument enfreint les règles vestimentaires très strictes imposées par la République islamique. «Je crois que les femmes sont en train de changer leur situation et qu’il n’y a pas de retour en arrière possible. Je suis touchée par leur bravoure, tout particulièrement chez les jeunes générations», se réjouit-elle. «C’est une révolution en cours (…) J’adore l’idée qu’enfin on puisse choisir comment s’habiller et se conduire». «Et les hommes soutiennent les femmes, et ça c’est nouveau», tient-elle à souligner. «Tatami», qui doit sortir en 2024, a été vendu dans plusieurs pays européens. Selon Guy Nattiv, le film a fait couler beaucoup d’encre en Israël car «les gens, je ne parle pas du gouvernement, voient cette collaboration comme quelque chose de révolutionnaire». «J’espère qu’il ouvrira la voie à d’autres collaborations entre Israéliens et Iraniens dans d’autres domaines comme la musique», conclut-il.