Le bâton pour les journalistes «ennemis du peuple», la carotte pour ceux qui font son éloge: en 100 jours à la Maison Blanche, Donald Trump a relancé à marche forcée sa stratégie pour remodeler le paysage médiatique américain, qui continue de lui résister. En février, la Maison Blanche a restreint ses accès à l’Associated Press (AP), la prestigieuse agence de presse américaine. Mais elle n’a pas fait céder l’AP, qui continue d’utiliser le terme Golfe du Mexique et non, comme l’exige le vocabulaire trumpien, celui de «Golfe de l’Amérique». L’administration Trump a aussi entamé le démantèlement, contesté devant les tribunaux, des «voix» de l’Amérique à l’étranger, comme Voice of America, Radio Free Europe/Radio Liberty, ou Radio Free Asia, alors que les radios et télévisions publiques NPR et PBS voient leur financement fédéral menacé. Donald Trump a lancé des attaques judiciaires contre la chaîne privée CBS, le journal local «The Des Moines Register», et fait plier ABC (groupe Disney), qui a versé 15 millions de dollars sous la menace d’un procès en diffamation. «Les mesures prises par la Maison Blanche pour limiter la capacité des journalistes à faire leur travail et à documenter ce qui se passe sont sans précédent», souligne Katherine Jacobsen, en charge des Etats-Unis pour le Comité de protection des journalistes (CPJ). «Cette tentative de contrôler le récit menace la liberté de la presse et les valeurs démocratiques américaines», ajoute-t-elle. «Quand un gouvernement utilise ses pouvoirs pour étouffer la liberté d’expression et menacer la presse, nous entrons dans un nouveau territoire», ajoute Reece Peck, professeur de journalisme à l’université de New York. Il rappelle que l’Autorité de régulation des télécommunications, (FCC), où Donald Trump a placé un allié, Brendan Carr, a lancé des enquêtes contre CBS, ABC et NBC, ainsi que NPR et PBS. En 2024 déjà, les Etats-Unis ont dégringolé de la 45e à la 55e place dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF. Jusqu’où peut aller Donald Trump, dans un pays qui a une longue tradition de journalisme d’investigation et où la liberté d’expression est protégée par le Premier amendement de la Constitution? «Ses capacités sont limitées», souligne Dan Kennedy, professeur de journalisme à l’université Northeastern de Boston. «Il peut essayer de trouver des cibles ici et là, mais il ne peut pas grand-chose contre le «NYT», qui fait d’excellents reportages sur le chaos de l’administration Trump», souligne-t-il. «Ce qui est plus inquiétant, c’est que Trump est en train de concevoir un système médiatique dans lequel le «New York Times» sera tout simplement ignoré, à l’exception de son lectorat de base», continue-t-il. Donald Trump peut s’appuyer sur une désaffection de plus en plus profonde du public américain pour les médias d’information, un phénomène auquel il a contribué avec une rhétorique permanente sur les journalistes menteurs et «ennemis du peuple». Selon l’institut Gallup, en 2024, 31% des Américains faisaient confiance aux «médias de masse» pour livrer une information complète, précise et impartiale, un chiffre qui dépassait les 50% dans les années 2000. La Maison Blanche a aussi ouvert ses portes aux influenceurs, podcasteurs et commentateurs proches de ses idées, sur lesquels Donald Trump s’est appuyé pendant sa campagne. L’un des journalistes de la télé conservatrice Real America Voice, Brian Glenn, avait participé au traitement sans ménagement réservé au président ukrainien Volodymyr Zelensky, dont le pays a été envahi par la Russie, dans le Bureau ovale, en lui lançant : «pourquoi ne portez-vous pas un costume ? (…) Beaucoup d’Américains ont un problème avec votre manque de respect pour la fonction».
Accueil TV Télévision - Aujourd'hui dans le monde Donald Trump relance sa stratégie pour remodeler le paysage médiatique américain