Un baron colombien arrêté, des tonnes de cocaïne saisies en Belgique et près de 900 suspects identifiés: le décryptage de messages échangés via l’application téléphonique Sky ECC s’est révélé être «une mine d’or» dans la lutte contre le trafic de drogues.
Ce constat a été établi mercredi par les autorités judiciaires belges, qui présentaient à Bruxelles le bilan d’une année de travail depuis le «craquage du code» de cette application, qui a permis de lire «plusieurs centaines de millions» de messages. Sky ECC, lancée par une firme de télécoms basée au Canada, était très utilisée par le crime organisé, notamment par les trafiquants de cocaïne opérant entre l’Amérique du Sud et l’Europe.
L’usage massif de l’application a déclenché des enquêtes judiciaires en France et en Belgique. Le 9 mars 2021, la police belge a mené 200 perquisitions et procédé à 48 interpellations, lors d’un vaste coup de filet découlant du déchiffrement de millions de messages. Depuis un an, les informations collectées sur Sky ECC ont mené à l’identification d’un total de 888 suspects (interpellés et auditionnés), 276 nouveaux dossiers judiciaires ont été ouverts en Belgique dont 80% dans l’arrondissement d’Anvers (nord), a indiqué le parquet fédéral. Des données ont été partagées avec 22 pays, dont les Pays-Bas, la France, l’Espagne, ainsi que des Etats sud-américains de production (Colombie) ou de transit de la cocaïne (Brésil par exemple). «L’arrestation du baron de la drogue le plus recherché de Colombie, Dairo Antonio Usuga, alias Otoniel, chef du Cartel du Golfe, a eu lieu sur la base d’informations fournies par Sky», a affirmé le procureur d’Anvers, Franky De Keyser.
Ce narcotrafiquant de 50 ans, réclamé par la justice américaine, a été interpellé le 23 octobre dans le nord-ouest de la Colombie lors d’une vaste opération militaire. Autre conséquence des décryptages: des saisies massives dans le port d’Anvers, principal point d’entrée de la cocaïne en Europe, où les douanes ont intercepté 89,5 tonnes de cette drogue en 2021 soit un bond de 36% sur un an. Des dizaines de cas de corruption ont été mis au jour, un phénomène en plein essor jugé «inquiétant» par Eric Bisschop, procureur fédéral adjoint. Il a déploré des «menaces, chantage ou récompenses illégales» qui parviennent à convaincre certaines professions de participer au trafic (dockers, douaniers etc).
Les échanges sur Sky ECC se faisaient principalement en anglais et en albanais. Eric Snoeck, chef de la police judiciaire fédérale, dont 25% des effectifs sont mobilisés sur ces dossiers, a souligné que la Belgique voulait «intensifier» la coopération avec l’Albanie pour pouvoir saisir les biens qu’y possèdent certains trafiquants. «On sait qu’il y a des réinvestissements là-bas et des allers-retours incessants avec ce pays qui n’est à quelques heures de route», a dit ce responsable. Dans le cadre de l’enquête ouverte en France, le Canadien Thomas Herdman, accusé d’être un des principaux distributeurs de Sky ECC, a été inculpé et incarcéré en juin 2021. Il conteste les accusations.
