Facebook et l’Australie: duel entre deux magnats les plus puissants au monde, Murdoch et Zuckerberg

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Le bras de fer engagé par l’Australie pour contraindre les géants de la tech à rémunérer les contenus d’actualité est aussi une lutte de pouvoir entre deux magnats les plus puissants au monde, Rupert Murdoch et Mark Zuckerberg, embarqués dans un conflit de générations pour la domination des médias. Certains ont vu dans les efforts de l’Australie pour imposer un code de conduite contraignant aux mastodontes que sont Facebook ou Google un tournant pour Internet, pour les médias, voire même un enjeu pour la démocratie. Mais c’est aussi une lutte de pouvoir entre les barons des médias traditionnels et leurs héritiers du numérique. Au point que le milliardaire australien de la tech Cannon-Brookes a qualifié la volonté de Canberra de faire payer les réseaux sociaux de «racket».
Le projet de loi qui obligerait les géants du numérique à rémunérer les médias locaux a beau porter le sceau du gouvernement, certains experts croient y voir la patte du patron de News Corp., Rupert Murdoch. «Voilà plus d’une décennie que cette cause est chère à notre entreprise», reconnaît le directeur général de News Corp Robert Thomson, qui explique qu’elle a le «soutien indéfectible» du magnat australien. «Pendant de nombreuses années, on nous a accusés de nous battre contre les moulins à vent de la tech. Mais ce qui était une campagne solitaire, une quête chimérique, est devenu une lame de fond, et elle bénéficiera au journalisme comme à la société». Voilà des décennies que le milliardaire né au sud de Melbourne, dont le groupe contrôle Fox News, «The Sun» ou «Sky News Australia», exerce son influence politique aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Australie. Il contrôle les deux tiers de la presse quotidienne en circulation dans les grandes villes de son pays natal. Il jouit même d’un monopole à Brisbane, Adélaïde, Hobart et Darwin. Mais l’empire du magnat de 89 ans a assisté impuissant au décollage de géants comme Facebook et Google qui siphonnent des recettes publicitaires cruciales à la rentabilité de ses titres.Sur 100 dollars de publicités dépensés à l’heure actuelle par les entreprises australiennes, 49 tombent dans les poches de Google et 24 dans celles de Facebook, selon l’autorité australienne de la concurrence. «Ne nous méprenons pas, ce (code de conduite) a été délibérément élaboré pour le bénéfice d’un petit nombre d’entreprises, comme News Corp. et d’autres», affirme Lucie Krahulcova, de l’organisation Digital Rights Watch. Une première version du projet de loi avait même exclu le groupe public ABC – qui est combattu de longue date par les médias de M. Murdoch et le camp conservateur – de la liste des bénéficiaires des versements de Google et Facebook. L’ex-Premier ministre travailliste Kevin Rudd, très critique vis-à-vis de M. Murdoch, a estimé vendredi devant les députés à Canberra que ce projet de loi venait résoudre les problèmes de domination des géants de la tech en «confortant le poids d’un monopole existant, celui de Murdoch». «Tout le monde a peur de Murdoch», a-t-il dénoncé. Tout le monde? Pas le patron de Facebook Mark Zuckerberg, qui a riposté la semaine dernière en faisant savoir qu’il ne plierait pas aux demandes de News Corp. et des médias australiens.Plutôt que de chercher un compromis, à l’instar de Google, M. Zuckerberg a sorti l’artillerie lourde et décidé de bloquer les contenus d’actualités pour les internautes australiens. Résultat: depuis jeudi les Australiens ne peuvent plus partager de liens vers des sites d’info et les pages des médias australiens ne sont plus consultables via Facebook.