Hollywood et les Oscars font-ils un blocage sur les films en langue étrangère et les sous-titres ?

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Lorsque le réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho a reçu son Golden Globe du «meilleur film en langue étrangère» pour «Parasite», il n’a eu que cette phrase après les remerciements d’usage: «Quand vous aurez surmonté la barrière des deux centimètres de sous-titres, vous découvrirez des films étonnants». Le cinéaste et son film, entre thriller et comédie familiale noire, sont certes en lice dans six catégories aux Oscars. Mais depuis la création de ces prix en 1929, aucun film tourné dans une autre langue que l’anglais n’a jamais reçu l’Oscar du meilleur film et «Parasite» risque de devoir se contenter du prix du «meilleur film en langue étrangère», pudiquement rebaptisé depuis cette année «meilleur film international». Car Hollywood, et le marché du cinéma américain en général, semblent faire un blocage sur les films en langue étrangère et les sous-titres, très éloignés de leur culture. Beaucoup leur reprochent par exemple de trop solliciter l’attention du spectateur vers le bas de l’écran, au risque de manquer des scènes cruciales. Pour Fredell Pogodin, qui a assuré la promotion de centaines de films parmi lesquels les oscarisés «Roma», «Mediterraneo» et «Koyla», l’obstacle pour les films étrangers n’est pas uniquement la langue, c’est aussi le contenu. «Ce n’est pas qu’une histoire de sous-titres, ils sont surtout élitistes. Ils ne sont pas pour le grand public», déclare-t-elle. «Il y a une certaine catégorie de spectateurs pour eux, elle est généralement plus haut de gamme», ce qui rend difficile de convaincre l’Américain moyen de dépenser son argent pour aller «lire» un film, analyse-t-elle. Palme d’or au festival de Cannes, «Parasite» connaît un succès planétaire, avec 160 millions de dollars de recettes dans le monde, mais n’a récolté qu’environ 31 millions au box-office nord-américain, selon le site spécialisé Box Office Mojo. Une performance très éloignée des centaines de millions brassés par les films américains portés par les grands studios. Même les films britanniques dits «indépendants» peinent à percer sur le marché nord-américain. «Le spectateur américain moyen se rend au cinéma en moyenne entre trois et cinq fois par an», rappelle Tom Nunan, producteur du film «Collision» qui lui a valu un Oscar. «Et vous croyez qu’ils vont aller voir un film coréen? Avec des sous-titres? N’y songez pas». Mme Pogodin, désormais à la retraite, relève que les campagnes pour les Oscars ne se mènent généralement pas auprès du grand public, mais bien plutôt autour des critiques professionnels et des effets de mode dans les festivals. Mais M. Nunan insiste sur le fait qu’il a beau appartenir «à la population la plus élitiste et «amie des arts» de l’ouest de Los Angeles», ses copains lui demandent quand même si un film est en langue étrangère avant d’envisager d’aller le voir. Justin Chang, critique de cinéma au grand quotidien «Los Angeles Times», a pointé du doigt dans un éditorial une forme de «myopie culturelle d’Hollywood qui réserve chaque année des prix spéciaux pour les films tournés en dehors des Etats-Unis et dans une langue autre que l’anglais». «La remise de ces récompenses (…) est souvent un geste de condescendance maquillé en marque de reconnaissance», a estimé M. Chang. Pour contourner cet écueil, certains producteurs de films étrangers tournent en anglais, même si leurs acteurs sont loin de le parler couramment. Ce fut le cas en 2017 d’«Escobar», consacré au défunt baron de la drogue colombien Pablo Escobar, avec les acteurs espagnols Penelope Cruz et Javier Bardem, dont tous les dialogues sont en anglais avec accent… «Les lois du marché ne permettent pas à des films avec un budget de cinq à six millions d’euros d’être tournés en espagnol», avait déclaré Javier Bardem lors de la présentation du film. «Au bout du compte, ce qui compte, c’est que l’histoire soit bien racontée, pas la langue», avait-il estimé.