En six ans, Spliiit s’est imposée comme la référence européenne du co-abonnement légal, permettant aux utilisateurs de partager leurs accès à des services numériques pour réduire leurs dépenses. À l’occasion de cet anniversaire, Jonathan LALINEC, cofondateur de la plateforme, revient sur la genèse du projet, son modèle économique resté stable depuis 2019, l’essor des «abonnements fantômes», et la manière dont Spliiit s’est hissée au rang d’acteur rentable et international, tout en réconciliant consommateurs et éditeurs.
Spliiit fête ses six ans. Votre business model a-t-il évolué au fil des années ?
Étonnamment, non. Contrairement à beaucoup d’entreprises du numérique, nous sommes restés fidèles à notre modèle d’origine. Nous avons simplement ajusté nos commissions pour garantir la pérennité de la société. Quand nous avons démarré en 2019, nous ne proposions qu’une trentaine de services référencés. Aujourd’hui, nous en comptons plus de 350, couvrant la quasi-totalité du marché des plateformes par abonnement. Cela reflète d’ailleurs un phénomène de société : les abonnements se multiplient à une vitesse folle, au point de devenir omniprésents dans nos vies quotidiennes.
Et sur le plan économique, où en est Spliiit ?
Nous sommes rentables depuis cette année, ce dont nous sommes très fiers. Nous avons atteint l’équilibre en 2024, et 2025 marque une vraie consolidation : 14 M€ de volume d’affaires et environ 2,5 M€ de marge. Nous avons fait le choix du bootstrapping, c’est-à-dire sans levée de fonds. Spliiit a été construite de A à Z par ses fondateurs. Nous sommes une petite équipe – 25 personnes – mais très agile. Notre modèle repose sur le volume et l’automatisation : une fois la rentabilité atteinte, la croissance devient exponentielle sans explosion des coûts. Nous devrions rester autour de 30 à 40 salariés, tout en servant des millions de clients.
Votre dernière étude sur les «abonnements fantômes» est née de quel constat ?
L’explosion du nombre de plateformes ! Chez Spliiit, nous couvrons dix grandes thématiques d’abonnements – de la SVOD à la musique, en passant par la presse, les logiciels ou encore la cybersécurité. Mais la plus dominante reste la vidéo à la demande, la SVOD. Rien qu’en France, on compte aujourd’hui plus de 30 services pour regarder des séries ou des films. Nous nous sommes donc demandé : peut-on vraiment utiliser tous les services auxquels on est abonné ? La réponse est non, à moins d’être un cinéphile qui passe ses soirées à tout visionner ! C’est ce qui nous a poussés à lancer une enquête auprès de nos utilisateurs sur ces fameux abonnements «fantômes», ceux qu’on garde mais qu’on n’utilise plus vraiment. Et les résultats nous ont franchement surpris.
Comment expliquez-vous que les gens oublient leurs abonnements ?
C’est avant tout un réflexe psychologique. Les plateformes cessent de communiquer une fois l’abonnement lancé, ce qui pousse beaucoup d’utilisateurs à simplement oublier qu’ils paient encore. Mais il y a aussi la peur de manquer : plus d’un sur deux garde un abonnement « au cas où », par confort, pour avoir accès à tout, tout le temps – même s’il ne s’en sert pas réellement.
Quelle économie moyenne réalisent vos utilisateurs ?
En moyenne, entre 400 et 450 €/an, selon nos enquêtes. Les hausses successives de prix sur Netflix, Disney+, Spotify ou YouTube Premium rendent ce chiffre encore plus parlant. Aujourd’hui, un abonnement à une plateforme vidéo ou musicale coûte rarement moins de 15 ou 20 €. En mutualisant, on réduit ces dépenses de moitié, voire davantage. Certains utilisateurs économisent plus de 1.000 € par an, notamment ceux qui cumulent plusieurs services : presse en ligne, logiciels, VPN, apprentissage des langues comme Duolingo… C’est considérable.
Comment votre modèle s’intègre-t-il face aux nouvelles politiques de partage mises en place par des plateformes comme Netflix ou Disney+ ?
Netflix et Disney+ n’ont pas interdit le partage, ils l’ont simplement monétisé, ce qui confirme la légitimité de notre modèle. Spliiit s’adapte à ces nouvelles règles, sans notion de foyer, et reste pleinement légal. Avec les éditeurs français comme Le Parisien ou L’Équipe, nous entretenons des relations étroites : le partage devient un outil de fidélisation qui profite à tous – l’abonné paie moins, l’éditeur vend une offre plus chère et réduit son taux de résiliation.
Et concernant Apple, Netflix et Disney, on a lu que vous aviez été en conflit juridique avec eux…
Effectivement, nous avons eu un litige en 2021, principalement autour de l’utilisation de leurs logos. Nous avons remporté la première manche en référé cette année-là, et le procès au fond s’est tenu début octobre 2025. Nous sommes très confiants : les conditions d’utilisation de ces plateformes ont depuis évolué, ce qui rend le litige caduc. À l’époque, la question du “même foyer” était floue. Aujourd’hui, les plateformes elles-mêmes reconnaissent le partage, à condition qu’il soit encadré. Nos avocats l’ont très bien résumé : c’est un procès qui n’a plus lieu d’être.
Vous parlez d’expansion européenne depuis plusieurs années. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous y sommes déjà ! Spliiit est présent historiquement en Espagne et en Italie, et désormais dans toute la zone euro : de la France à la Grèce, en passant par la Croatie, la Slovénie ou la Slovaquie. Aujourd’hui, seuls 30 % de nos nouveaux clients sont français, le reste vient de toute l’Europe. Notre prochaine étape, c’est l’internationalisation hors zone euro, notamment au Royaume-Uni et en Pologne. Cela nécessitera un nouvel agrément bancaire pour encaisser d’autres devises que l’euro.

































