Jackie Buet : pionnière du cinéma au féminin bien avant #Metoo 

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Écrire une histoire du cinéma sans les hommes ? Si certains n’ont jamais cru la tâche possible, Jackie Buet, cofondatrice d’un festival international dédié aux réalisatrices et actrices, en a fait l’oeuvre de sa vie… bien avant le mouvement #Metoo. Le pas affirmé, sourire aux lèvres, et chaque minute qui compte: Jackie Buet peaufine les derniers préparatifs de la 46e édition du festival de films de femmes de Créteil qui se tient du 15 au 24 mars, près de Paris. Ce rendez-vous, où se pressent réalisatrices et actrices, montre d’année en année sa pertinence et son originalité: s’il en existe d’autres (plus modestes), dont celui de Salé au Maroc, celui-ci est le plus ancien et le mieux installé. «Je crois qu’on peut dire qu’on a eu le nez creux», se félicite sa cofondatrice. Depuis sa première édition en 1979 avec Élisabeth Tréhard, il a vu se succéder Agnès Varda, Tonie Marshall (seule réalisatrice avec Justine Triet à avoir reçu le César du meilleur film), Margarethe von Trotta ou Agnieszka Holland. 

«Elles existent !» : Née à Saint-Malo en 1947 (elle tait la date exacte), Jackie Buet découvre la «magie» du 7e art enfant, à Caen. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les évacuations sont quotidiennes à cause des bombes non explosées qui jonchent sa ville. Lorsque cela arrivait, «on nous mettait dans un espace où il y avait un ciné-club», se remémore-t-elle. Le cinéma ne la quittera plus. Elle devient institutrice et milite au MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception). Un jour, elle assiste à une rencontre avec Marguerite Duras et Chantal Akerman dans un cinéma qui «faisait venir des cinéastes marginaux», se rappelle-t-elle. «Là, je me dis: il y a des femmes qui font des films, elles existent!» Elle l’ignorait jusque-là. Après cette révélation, elle décide d’agir en compagnie d’Élisabeth Tréhard, avec qui elle travaille au théâtre des Gémeaux à Sceaux, et qui quittera l’aventure après 10 ans pour retourner au théâtre. «On a cherché des lieux où il y avait des réalisatrices et on a découvert qu’à Berlin, pas à Cannes, à Berlin, il y avait une ouverture beaucoup plus grande», confie-t-elle. – Archives -Une révélation en entraînant une autre, elle découvre qu’il existe, aux côtés des cinéastes Wim Wenders ou Rainer Werner Fassbinder, des équivalents féminins dont Helma Sanders-Brahms ou Margarethe von Trotta. Problème: leurs films sont «oubliés» des distributeurs. C’est cette «invisibilisation» qu’elle a voulu combattre. Les premières années du festival ne sont pas exemptes de critiques. «On nous disait qu’on créait un ghetto», se remémore Jackie Buet. «Les réalisatrices étaient aussi frileuses. L’étiquette féministe faisait peur». C’est Tonie Marshall qui ouvre la voie. «Après elle, elles sont toutes venues». Très vite, elle comprend qu’il faut ouvrir le festival aux actrices, aux productrices, ainsi qu’aux techniciennes. Viendront Catherine Deneuve, Delphine Seyrig, mais aussi des écrivaines dont la prix Nobel de littérature Annie Ernaux l’année dernière, l’avocate Gisèle Halimi…Au fil des ans, Jackie Bluet se lance dans un travail d’archives. Objectif : entreprendre ce que les historiens n’ont pas fait. Année après année, elle enregistre des entretiens avec les intervenantes. Plus de 500 d’entre eux, d’abord sonores, aujourd’hui en vidéo, ont été enregistrés et remis à l’INA (l’Institut national de l’audiovisuel). La preuve que «les femmes ont bien contribué à l’histoire du cinéma mondial».