Japon: la «guérilla» des ventes de consoles de jeu vidéo

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Il fait encore nuit quand les 1ers courageux commencent à former une file devant un magasin d’électronique de Tokyo dans l’espoir d’acheter une console de jeu PlayStation ou Xbox, une scène devenue habituelle au Japon, particulièrement touché par les pénuries. En quête d’une PlayStation 5 depuis février, Tetsuya, 50 ans, a rejoint peu après 6h30 du matin une queue de plusieurs dizaines de personnes devant une boutique d’Akihabara, quartier «geek» de la capitale nippone. Mais vers 8h00, un employé vient annoncer que le magasin n’a reçu ni PS5 ni Xbox ce jour-là. Les machines de Sony et Microsoft – la Switch de Nintendo est également affectée – ont fait dès leur sortie en novembre 2020 les frais des perturbations des chaînes d’approvisionnement, encore accentuées cette année par les confinements en Chine, compliquant la production et l’acheminement. Les magasins d’électronique nippons, après avoir connu lors de mises en vente de consoles des scènes de chaos ayant parfois nécessité l’intervention de la police, ont pour la plupart opté depuis pour la vente en ligne par tirage au sort afin d’éviter les attroupements. Pour décourager le «scalping», l’achat en vue de revendre ensuite au prix fort sur internet, certaines enseignes choisissent aussi de vendre leurs consoles sans avertissement, au gré d’aléatoires arrivages. Le phénomène baptisé «vente guérilla» dans l’Archipel, pousse ainsi des centaines de personnes à tenter leur chance dans tout le Japon, le plus souvent le week-end, avant l’ouverture des magasins. D’abord livrés à eux-mêmes faute d’informations fiables, les consommateurs se sont peu à peu organisés, et l’un d’entre eux a eu l’idée d’agréger sur un site internet des informations recueillies sur le terrain par les particuliers. «L’été dernier, j’ai essayé pendant 3 mois d’acheter une PlayStation 5, mais à chaque fois que j’allais dans un magasin, les stocks étaient épuisés», raconte le gérant du site, qui souhaite rester anonyme. «Pour savoir si la console était en vente, le seul moyen était de téléphoner à tous les magasins ou de trouver des témoignages sur Twitter. Je me suis dit que tout le monde avait le même problème et que créer un lieu de partage d’informations rendrait service à la communauté». Ce Japonais de 40 ans, par ailleurs chercheur en IA, recueille toutes les informations postées sur le forum de son site et les compile dans un calendrier hebdomadaire, permettant aux utilisateurs d’estimer où et quand ils auront les meilleures chances de trouver une console. Au-delà des problèmes de production et d’acheminement, le Japon pâtit de la stratégie de Sony de servir en priorité les marchés européen et nord-américain, explique l’analyste Hideki Yasuda de Toyo Securities. Il estime que 5 à 8% seulement des quelque 20 millions de PS5 vendues dans le monde l’ont été au Japon. Au lancement en 2013 de la PS4, la précédente console de Sony, «le marché du jeu sur smartphone explosait au Japon alors que celui des consoles faisait du surplace», explique M. Yasuda. «Sony a sans doute pensé qu’il allait quasiment disparaître dans les années 2020, d’autant plus que la population nippone diminue». Résultat, la PS5 est devenue un objet de spéculation, glisse l’analyste. «Si on achète une PlayStation à 55.000 yens (390 euros), on peut facilement la revendre 80.000 ou 100.000 yens». «Beaucoup de gens qui achètent une console en «vente guérilla» la revendent donc tout de suite, au prix fort», quitte à la racheter plus tard quand elle sera disponible normalement en magasin, ajoute-t-il. Les revendeurs ont encore de beaux jours devant eux: malgré la promesse faite en mai par Jim Ryan, patron de la division jeu de Sony, d’une «augmentation significative» de la production cette année, M. Yasuda estime qu’on n’assistera pas à des approvisionnements massifs en PS5 avant la deuxième moitié de 2023.