C’est une série qui a «changé ma vie», assure Karan Tripathi. Comme à cet Indien de 25 ans, «I May Destroy You», qui a triomphé dimanche soir aux récompenses britanniques de la télévision, a donné force et courage à des victimes d’agressions sexuelles.Cette oeuvre sortie durant l’été 2020 sur la BBC et HBO suit Arabella, autrice noire à succès, dans sa reconstruction après avoir subi un viol dans un bar londonien, alors qu’elle y faisait la fête avec ses amis. La réalisatrice Michaela Coel, qui incarne aussi la milléniale à l’écran, filme avec franchise et sans tabou des scènes banales mais violentes qui interrogent la notion de consentement au quotidien, en particulier dans la communauté queer. Douze épisodes coup de poing qui oeuvrent beaucoup pour les victimes, couronnés par deux Bafta: meilleure minisérie et meilleure actrice pour Michaela Coel. Agressé sexuellement par un supérieur qui lui réclamait aussi des faveurs, «I May Destoy You» a aidé Karan Tripathi à se sentir légitime en tant que victime. «Dans ma tête je me demandais si c’était vraiment une agression sexuelle, vu que je n’ai pas résisté sur le moment, j’étais bloqué», confie cet homme queer. «La série m’a aidé à répondre à cette question», affirme-t-il, expliquant s’être aussi senti d’autant plus illégitime que le harcèlement sexuel n’est pas reconnu à l’encontre des hommes en Inde. «La série m’a donné le courage d’avouer des choses qui me rendaient vulnérable», ajoute celui qui s’est depuis ouvert sur son agression. «Ça m’a donné le langage et la grammaire pour parler du harcèlement sexuel». Karan Tripathi a connu «I May Destroy You» par des amis qui, comme beaucoup d’internautes, se sont insurgés sur les réseaux qu’une série «si courageuse et puissante» ait été boudée aux Golden Globes. La série au casting salué pour sa diversité avait en revanche obtenu six nominations aux Bafta Television. Paapa Essiedu était ainsi nommé dans la catégorie «meilleur acteur principal» pour son interprétation de Kwame, meilleur ami gay d’Arabella, lui aussi victime d’agression sexuelle lors d’une date sur l’application de rencontres Grindr. Un succès tout à fait justifié, selon Marie Albert, journaliste féministe de 26 ans. «Je ne me souviens pas d’avoir vu ailleurs quelque chose qui redonne autant confiance en soi», confie cette Française, à qui la série a permis de se «sentir vraiment légitime à réclamer justice». Largement inspirée de l’histoire personnelle de Michaela Coel, «I May Destroy You» l’a «convaincue d’aller porter plainte» en février, explique celle qui «ne pouvait pas revenir à (sa) vie d’avant» après ce visionnage qui l’a «retournée». Victime de violences conjugales, d’agression sexuelle et de harcèlement au travail, Marie a aussi déposé une quatrième plainte pour viol, une agression dont elle a seulement pris conscience avec la scène où l’héroïne est confrontée au «stealthing», le fait d’enlever le préservatif sans en informer son partenaire. Si l’agression sexuelle est «trop souvent utilisée au cinéma comme artifice pour susciter le drame», «I May Destroy You» propose au contraire une «représentation utile et inspirante», juge un porte-parole de l’association britannique d’aide aux victimes The Survivors Trust. L’identification est notamment permise par le personnage puissant d’Arabella, «imparfaite et réaliste» et «qui n’est pas le stéréotype de la victime si souvent dépeinte», estime la Survivors Trust. Elle salue dans les derniers épisodes «une expérience cathartique»: Ils «montrent que, même si nous ne pouvons pas changer les événements qui nous sont arrivés, nous pouvons les dépasser à notre manière». «Ce ne sont pas des situations stéréotypées de viol, mais des situations banales que j’ai vécues», relève Marie Albert. «Sans cosmétique», «authentique» sont aussi les mots qui reviennent dans la bouche de Karan, saluant une oeuvre qui «transcende les cultures et les langages».