La série «Des gens bien ordinaires» inverse les genres en donnant le pouvoir aux femmes

1046

Des plateaux de films X à l’amphithéâtre d’une fac, «la banalité du sexisme est la même» partout: c’est ce que montre la réalisatrice Ovidie dans sa série «Des gens bien ordinaires», dystopie qui inverse les genres en donnant le pouvoir aux femmes. Les 2 premiers épisodes de cette «création décalée» de Canal+, qui en compte huit de 9 à 17’, ont été dévoilés en avant-première au festival Canneseries, avant une diffusion «fin mai début juin», a annoncé son autrice lors d’une masterclass. On y suit Romain (Jérémy Gillet), étudiant en sociologie qui entame, à la fin des années 90, une carrière dans le porno. Pensant y trouver une voie d’émancipation, ce rebelle de 18 ans découvre un milieu finalement «ordinaire» et se retrouve victime de sa notoriété soudaine. «Le porno, c’est un suicide social», explique Ovidie, ancienne actrice et réalisatrice de films X». Ça fait 22 ans que ça ne me concerne plus et on me pose encore des questions là-dessus». Comme le court-métrage qui l’a précédé en 2020, «Un jour bien ordinaire», la série repose sur un «principe d’inversion des genres et des rapports de pouvoir», relate cette titulaire d’un doctorat de lettres et autrice de documentaires, BD, podcasts ou encore d’une websérie animée pour Arte sur les questions féministes et intimes. Romain, dont le père a arrêté de travailler pour élever ses enfants, découvre ainsi une industrie du X gérée par des femmes, se fait lorgner «par une mémé dans le bus» ou vit une relation toxique avec une femme plus âgée. Une permutation censée «créer une légère sensation de malaise, qui nous amène à nous questionner», selon Ovidie. «Si j’avais choisi un personnage féminin de 18 ans en couple avec un mec de 32 ans qui est jeune prof, on l’aurait à peine relever, alors que là ça passe moins». Pas la peine de «représenter des violences» à l’écran. «La banalité du sexisme se suffit à elle-même». Et celle «que Romain rencontre sur les tournages pornos est exactement la même qu’avec ses parents, ses profs, sa compagne», insiste Ovidie. «Reflet exacerbé de ce qui se passe dans la société en général», le milieu du porno est pour elle mal représenté dans l’audiovisuel, «toujours à côté de la plaque», du film «Boogie Nights» au documentaire «Hot Girls Wanted» en passant par la série «Hard». Inspirée d’histoires réelles, sa série propose un «point de vue situé», à défaut d’être une «autofiction», malgré des points commun entre Romain et Ovidie, qui s’est lancée dans le porno pendant ses études de philosophie. Elle préfère ainsi montrer, plutôt qu’une «éjaculation faciale», une «réalisatrice épuisée qui fait des films d’entreprise à côté», incarnée par Romane Bohringer, ou des «techniciennes qui sont là pour faire leurs heures». «C’est pour ça qu’il n’y a pas une seule scène de sexe», mise à part une dans l’intimité du couple de Romain. Une «performance» pour une série parlant de porno, à l’heure où le sexe est «absolument partout dans notre environnement culturel», concède l’ancienne adepte du féminisme pro-sexe. Ce mouvement politique, qui prône «la lutte pour les droits des travailleurs du sexe et la production de contre-images en réponse aux images pornographiques sexistes», a «beaucoup moins de sens aujourd’hui» que lors de sa création «au tout début des années 80», estime Ovidie.Devenue «féministe tout court», la jeune quadra ne «regarde pas à titre perso les séries avec du cul», telles qu’«Euphoria» ou «Sex Education», même si «Pam and Tommy», série de Disney+ sur la sextape volée à Pamela Anderson et Tommy Lee dans les années 90, l’a «fait rigoler». Envisage-t-elle d’explorer d’autres terrains que «la politisation de l’intime» à l’avenir? «Non. Il vaut mieux rester constant. C’est un sujet qui est inépuisable, tant qu’il y aura du sexisme, et encore plus depuis MeToo. Le jour où ce sera épuisé ce sera le moment de partir à la retraite avec mes chiens».