Lagardère/Vivendi: un long feuilleton qui connaît enfin son dénouement

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La prise de contrôle de la maison Lagardère par la famille Bolloré a enfin connu son dénouement, sans surprise, plaçant Vivendi parmi les acteurs qui comptent sur la scène du divertissement mondial. Le géant français des médias, propriétaire de Canal+, de nombreux magazines et du groupe de communication Havas, a annoncé mardi la finalisation de son rapprochement avec son rival Lagardère, dont il détient près de 60% du capital et sur lequel il «peut dès à présent pleinement exercer un peu plus de 50% des droits de vote», selon un communiqué. «Nous ne pensions pas que cela serait aussi long», ont soufflé les patrons des deux groupes, Yannick Bolloré et Arnaud Lagardère, dans un entretien croisé au «Figaro», accompagnés sur la photo du patriarche Vincent Bolloré, 71 ans, qui savoure la fin heureuse d’une des grandes opérations de sa carrière. Car elle fait entrer Vivendi dans une nouvelle dimension, malgré des concessions imposées par la Commission européenne, gardienne de la concurrence en Europe. Le groupe passe de 38.000 à «environ 66.000 salariés présents sur tous les continents», et son c.a. progresserait, sur une base comparable à celle de 2022, de 72% à 16,5 milliards d’euros. Par comparaison, le géant allemand Bertelsmann pèse 83.000 salariés pour 20 milliards d’euros de recettes. Vivendi met aussi la main sur un profitable réseau de boutiques dans les gares et aéroports et sur des salles de spectacle célèbres (Casino de Paris, Folies Bergère…). Le 1er épisode remonte à 3 ans et 7 mois, lorsque Vincent Bolloré s’invite au capital de Lagardère à l’approche d’une AG à haut risque pour son gérant. De nombreux observateurs jugent que l’héritier de Jean-Luc Lagardère, fondateur d’un empire des médias et de l’aéronautique, risque gros en remettant son sort dans les mains d’un milliardaire connu pour ses raids actionnariaux. Très endetté, Arnaud Lagardère n’a pas le choix et double la mise en appelant également à son secours l’homme le plus riche du monde, Bernard Arnault. Après de multiples péripéties, le statut juridique de commandite par actions, qui constituait le rempart de la citadelle Lagardère finit par tomber. Le groupe devient opéable et Vivendi, qui avait entretemps grignoté le capital, se précipite pour annoncer son offre. Surgit le dernier obstacle sur la route: la Commission européenne. Elle s’oppose au projet maximaliste imaginé dans la très cossue Villa Montmorency à Paris, quartier où résident Vincent Bolloré et Arnaud Lagardère. Pour Bruxelles, alerté par des libraires français, hors de question de rassembler Editis (filiale d’édition de Vivendi) et Hachette Livre (joyau de Lagardère, 3ème éditeur mondial). Le 1er sera cédé avec une grosse décote au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Interdit également d’acquérir un poids trop important dans la presse people en obtenant le magazine «Paris Match»: Vivendi devra se délester de «Gala» auprès du Figaro. Pour marquer le rapprochement entre les deux groupes, Yannick Bolloré rejoindra prochainement le président du directoire de Vivendi Arnaud de Puyfontaine au CA de leur nouvelle filiale «indépendante et autonome», dont il s’engage à préserver «l’intégrité», selon le «Figaro». Mais l’ombre de Vincent Bolloré, aux opinions réputées conservatrices, a déjà bousculé l’organigramme et la ligne éditoriale du «JDD». L’hebdomadaire dominical a marqué un spectaculaire virage à droite durant l’été après la nomination à sa tête du journaliste proche de l’extrême droite Geoffroy Lejeune, malgré la grève puis le départ de la quasi-totalité de la rédaction. La radio généraliste Europe 1 de Lagardère a également inauguré des partenariats avec la très conservatrice chaîne d’info CNews (groupe Canal+) et de telles «synergies» devraient se multiplier. Même minoritaire, Arnaud Lagardère veut montrer qu’il conserve un rôle. Il cumulera les fonctions de PDG de son groupe, PDG d’Hachette Livre et gérant de ses radios (Europe 1 et les musicales Europe 2 et RFM).

Un épilogue est prévu: lundi, Vivendi a proposé de repousser de 18 mois la date limite pour acquérir jusqu’à environ 22% du capital supplémentaire. Le groupe reste en outre menacé par une enquête de Bruxelles sur une éventuelle prise de contrôle anticipée de sa cible. Une infraction qui, si elle était confirmée, ne remettrait pas en cause l’acquisition, mais pourrait lui coûter jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires total.