L’anonymat sur internet, un principe protégé par le droit français et européen

Obliger les utilisateurs des réseaux sociaux à certifier leur identité, comme le proposent des députés Renaissance, serait incompatible avec le droit français et européen qui privilégie la liberté d’expression, estiment des avocats spécialisés.

Afin de lutter contre les propos haineux, Paul Midy, rapporteur du projet de loi numérique, a déposé, contre l’avis du gouvernement, des amendements qui obligeraient les utilisateurs des réseaux à certifier leur identité pour s’inscrire, via un tiers de confiance.

En France, le droit au pseudonymat a été acté par les lois sur la confiance dans le numérique de 2004 et sur la république numérique de 2016.

«Au niveau européen, le droit ne parle pas de pseudonymat mais il est gravé dans le marbre qu’il est interdit de mettre en place une surveillance permanente et généralisée des réseaux sociaux, comme le dit une directive de 2000,», explique Eric Le Quellenec, avocat du cabinet Simmons et Simmons.

«Or le corollaire, c’est la possibilité du pseudonymat, pour que ceux qui s’expriment ne soient pas directement identifiés», poursuit l’avocat spécialiste des nouvelles technologies: «Obliger les personnes à certifier leur identité au préalable sur un réseau social, même avec un tiers de confiance et l’intervention nécessaire d’un juge pour lever cet anonymat est incompatible avec le droit européen». «On passerait d’un système de liberté totale à un régime déclaratif. On renverse le droit d’accès au réseau, avec le principe «identifiez-vous d’abord», une inversion des valeurs fondamentales», insiste-t-il. «A ma connaissance, aucun pays ne l’a fait, sauf la Chine».

Plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’homme montrent qu’elle considère l’anonymat comme un élément clé de la liberté d’expression. Même avis pour Eric Barbry, du cabinet Racine.

«Dans les faits, vouloir lever l’anonymat ne marchera jamais, ni techniquement ni juridiquement. Ni le Conseil constitutionnel, ni la Commission européenne ne pourront valider des projets qui interdisent l’anonymat, et techniquement il y aurait des contournements.

Sans parler des cas où l’hébergeur n’est pas en France», relève-t-il. «Agir sous pseudo n’est pas un délit, tout comme publier un livre ou un article sous pseudo», renchérit Amélie Tripet, du cabinet August Debouzy.

«Quand on créé un compte sur une plateforme ou un réseau social, on est censé déclarer des informations sincères, mais ces plateformes n’ont pas l’obligation de vérifier et certifier ces informations».

Cependant, comme plusieurs de ses collègues, elle regrette qu’il soit le plus souvent impossible, ou très long, de retrouver les auteurs de propos délictueux sous pseudo, même si pour les plus graves les enquêteurs peuvent faire une réquisition auprès des opérateurs pour obtenir leur adresse IP (adresse de connexion).