L’assaut des régulateurs américains menace de pousser à l’exode l’industrie des cryptomonnaies

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Procédures judiciaires, discours musclé, les régulateurs financiers américains veulent mettre au pas l’industrie des cryptomonnaies, au risque de la pousser à s’exiler vers d’autres destinations plus accueillantes. Début juin, le gendarme américain des marchés, la SEC, a assigné en justice coup sur coup la plus importante plateforme d’échanges de cryptomonnaies au monde, Binance, et le leader américain, Coinbase, accusés notamment de ne pas s’être enregistrés auprès de ses services. Le régulateur soutient que certaines monnaies numériques présentes sur ces plateformes sont des titres financiers, comme des actions ou des obligations, et sont donc soumises à sa supervision, une vision très contestée. Depuis 2020, une dizaine de participants du secteur ont été visés par la SEC, décidée à faire le ménage dans ce que le président de l’instance, Gary Gensler, qualifie de «far west». Ses détracteurs le taxent d’appliquer à une technologie nouvelle un cadre réglementaire ancien et inadapté. «Compte tenu du temps que vont prendre ces procédures, cela va probablement générer davantage d’incertitude et de confusion», estime Scott Freeman, co-fondateur de JST Capital, société de services financiers centrée sur les cryptomonnaies. «Nous aimerions voir une approche un peu plus proactive sur le plan réglementaire et législatif plutôt que de la régulation par la force», a déclaré sur CNBC Paolo Ardoino, responsable technique de la plateforme Bitfinex, mise à l’amende en 2021 par une autre agence américaine, la CFTC (produits financiers dérivés), qui revendique aussi le contrôle des cryptomonnaies. «Nous sommes pris dans une guerre de territoires entre deux régulateurs, la SEC et la CFTC», a déclaré Paul Grewal, responsable juridique de Coinbase. Plusieurs textes ont été proposés au Congrès américain, mais aucun n’a encore fait suffisamment consensus pour être soumis au vote. «Si dans quelques années, nous ne voyons pas le paysage réglementaire se clarifier aux Etats-Unis, nous pourrions devoir envisager d’investir davantage ailleurs dans le monde», expliquait mi-avril le directeur général de Coinbase, Brian Armstrong, pour qui «tout est envisageable, y compris un départ» vers un autre pays. Les dirigeants de plusieurs pays font des appels du pied au secteur. Dimanche, le Premier ministre britannique Rishi Sunak s’est réjoui de l’ouverture d’un bureau à Londres par le géant américain du capital-investissement technologique Andreessen Horowitz, notamment pour investir dans des projets crypto. Quant au nouveau règlement européen Mica (Markets in Crypto-Assets) adopté en avril, s’il ne fait pas l’unanimité, «au moins, il nous donne une liste de règles» et de la visibilité, considère Paolo Ardoino. Le questionnement dépasse les seules cryptomonnaies et remue tout l’écosystème sur lequel elles s’appuient, construit sur la «blockchain», une technologie qui permet des transactions directes entre individus. Après la nouvelle salve de la SEC, l’entrepreneur Derek Boirun, qui a créé une société mêlant immobilier et blockchain, Realio, a publié une tribune sur le site Medium titrée: «Pourquoi je quitte les Etats-Unis». Il y affirme avoir tenté depuis plusieurs années de se faire enregistrer auprès de la SEC et d’un autre régulateur financier américain, la FINRA, en vain. «J’ai obligation de protéger ce que nous avons construit, ce qui signifie trouver un pays qui nous soutienne dans nos travaux», clame le quadragénaire. Tant que le Congrès ne fera pas des Etats-Unis «une juridiction ouverte à la blockchain, l’Europe et l’Asie resteront vues comme plus réceptives à ceux qui veulent innover», prévient Scott Freeman.