Le festival de cinéma Golden Horse de Taïwan, rempart contre l’emprise de Pékin

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Le festival de cinéma Golden Horse de Taïwan revient samedi avec pour favori un thriller hongkongais, un tournant pour les «Oscars en langue chinoise» devenus rempart contre l’emprise de Pékin. La 59e édition du prestigieux festival débute avec sept films hongkongais en compétition – cinq longs métrages et deux documentaires – «le meilleur résultat depuis cinq ans» pour Hong Kong, selon les organisateurs. Mais toujours pas de film chinois grand public pour la quatrième année consécutive, en raison des tensions entre Pékin et Taipei. La plupart des vedettes chinoises et hongkongaises qui avaient l’habitude de fouler le tapis rouge boudent l’événement depuis qu’un réalisateur taïwanais a exprimé son soutien à l’indépendance de l’île dans un discours de remerciement en 2018. Le Parti communiste chinois considère Taïwan comme une partie de son territoire et a longtemps mis à l’index les artistes taïwanais pour tout soutien supposé à l’indépendance.   En 2019, plus aucun film du continent ne figurait parmi les nominations, et plusieurs films hongkongais ont été retirés. Les super productions chinoises ont encore brillé par leur absence en 2020 et 2021. Cette année, le thriller hongkongais «Limbo» a obtenu le plus grand nombre de nominations (14), en lice pour le titre du meilleur film, face à un autre drame hongkongais, «The Sunny Side of the Street», et trois films taïwanais. Cinq films indépendants chinois sont également en compétition. Quelques jours avant l’annonce des nominations en septembre, l’Association de l’industrie cinématographique de Hong Kong a exhorté ses membres à «réfléchir à deux fois» avant de participer au festival taïwanais, estimant qu’il s’est «progressivement politisé». Le bureau des affaires taïwanaises de Pékin a dit qu’il soutenait les échanges culturels avec Taïwan, mais que «pour les activités qui ont des connotations politiques, c’est une autre affaire». Peu de nominés hongkongais ou chinois semblent prêts à se rendre à Taipei.Pour le film «Limbo», Cya Liu, nominée dans la catégorie meilleure actrice, a confirmé via son agence son absence de la cérémonie, sans en préciser la raison. Et Soi Cheang, nommé dans la catégorie du meilleur réalisateur, a décliné tout commentaire. Le critique de cinéma Wonder Weng a jugé «vraiment gênant qu’un film reconnu par 14 nominations semble ne pas soutenir, voire boycotte» le festival. Mais «dans le contexte politique actuel, il est probablement inévitable que ni le réalisateur ni les acteurs ne soient présents», confie M. Weng. A l’exception de l’acteur taïwano-américain Mason Lee. Le fils du réalisateur taïwanais oscarisé Ang Lee est un fervent partisan du festival et préside régulièrement son jury, un rôle qui est assumé cette année par la réalisatrice hongkongaise Ann Hui. Les Golden Horse sont devenus un rempart contre l’emprise de plus en plus ferme de Pékin sur la création en chinois, en présentant régulièrement des productions qui ne passent pas la censure en Chine et à Hong Kong. L’année dernière, «Revolution of Our Times» du réalisateur hongkongais Kiwi Chow, a remporté le prix du meilleur documentaire pour sa production sur les violentes manifestations pro-démocratie de 2019 à Hong Kong, qui ne peut pas être diffusé sur place. Autrefois creuset du cinéma cantonais et bastion de la liberté d’expression, Hong Kong se transforme petit à petit en miroir du continent. Depuis 2020, une loi sur la sécurité nationale criminalise une grande partie de la dissidence, tandis que la censure cinématographique s’est renforcée. Le festival Golden Horse «est crucial parce qu’il ouvre une porte aux films indépendants», estime M. Weng, qui appartient à la Société des critiques de cinéma de Taïwan. «C’est le seul moyen pour eux de se faire entendre», ajoute-t-il.