Le «Germinal» d’Emile Zola, un roman indépassable dans son genre

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Le «Germinal» d’Emile Zola, adapté en série après trois versions au cinéma au XXe siècle, est un roman indépassable dans son genre, alors même que les mines de charbon ont inspiré une littérature abondante.Le romancier naturaliste prenait un risque en s’attaquant à ce sujet ardu, sur les conseils d’un député du Nord, Alfred Giard. Il en est sorti, en feuilleton en 1884 puis en volume en 1885, un livre monumental. 

«Le puits dévorateur avait avalé sa ration quotidienne d’hommes, près de sept cents ouvriers, qui besognaient à cette heure dans cette fourmilière géante, trouant la terre de toutes parts, la criblant ainsi qu’un vieux bois piqué des vers», décrit-il. Par la description épique et réaliste qu’il donne de la vie ouvrière, «Germinal» est «un moment crucial», estime Diana Cooper-Richet, historienne de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialiste de la littérature minière.Avant Zola, les mineurs sont dans les romans populaires une masse informe de brutes, ou une classe dangereuse. Avec lui, ils accèdent à une individualité voire à une noblesse de par la légitimité de leur cause, celle des travailleurs en lutte pour des conditions de vie décentes. L’écrivain, en venant dans la région de Valenciennes et Denain observer une longue grève, s’était lui-même défait de clichés alimentés par une répression violente à la fin des années 1860, celles où il situe son intrigue. «Il donne une dignité à ce métier. Et pendant très longtemps, jusqu’à la fin des mines de charbon, les mineurs lui en seront reconnaissants», explique Diana Cooper-Richet. Ils le montreront en prenant leur plume, notamment. «Mineur est l’un des métiers manuels dans lesquels on dénombre le plus d’écrivains. Un collègue belge et moi en avons trouvé environ 70 d’expression française: poètes et auteurs d’autobiographies essentiellement, plus rarement romanciers. Et tous ou presque confient ce qu’ils doivent à Zola», ajoute l’historienne. Sans compter les romanciers de métier qui ont touché au sujet, depuis Elie Berthet («Les Houilleurs de Polignies», en 1866), vedette du roman populaire à son époque, jusqu’à Sorj Chalandon («Le Jour d’avant», 2017), en passant par Jules Verne, Louis Aragon ou André Stil. Seul problème: l’auteur des Rougon-Macquart a signé le «roman minier» définitif, avec lequel il est impossible de rivaliser. Le plus prolixe des mineurs-romanciers, le Belge Constant Malva, écrit dans les années 1930 que «Germinal» lui paraît «le meilleur ouvrage qu’on ait fait jusqu’à ce jour sur la mine et les mineurs. Et on n’en fera sans doute jamais de meilleur (…) Zola a tout dit». Cette tradition, pour autant, vit toujours. Samira El Ayachi, qui a grandi à Méricourt (Pas-de-Calais) près de Lens, publie jeudi «Le Ventre des hommes» (éditions de l’Aube). Ce n’est pas un énième chant à la gloire de la classe ouvrière unie. 

C’est un hommage discret à un père marocain qui prit la tête du combat pour que ses compatriotes bénéficient du statut de mineur comme tous les autres. «La figure du mineur a été héroïsée par la littérature. La réalité était plus prosaïque et plus violente», estime l’autrice. Samira El Ayachi était lycéenne quand le «Germinal» de Claude Berri (1993), avec Gérard Depardieu et Renaud, a ravivé l’intérêt pour le roman. «Mon héroïne comme moi, on n’en pouvait plus de Germinal! La mine du matin au soir, on en a mangé… Mais c’est vrai que Zola, pour tout enfant de mineur, quand on a l’âge de comprendre, c’est une claque monumentale».