Mark Karpelès, un génie de l’informatique assagi

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Autrefois décrit comme un génie de l’informatique se goinfrant d’en-cas devant son PC, le Français Mark Karpelès a vu le cours de sa vie basculer après un séjour dans une geôle japonaise sur des soupçons d’abus de confiance. Au moment où la justice tranche son sort, tout le monde se remémore une photo de Karpelès bien en chair, vêtu d’un simple T-Shirt, sous la neige avec un grand gobelet à la main, toisant un détenteur de bitcoin lésé, transi par le froid et flanqué d’un panneau «Mt Gox, où est notre argent ?». Ce cliché a été pris début 2014, alors qu’avait éclaté l’affaire MtGox, du nom de la plateforme faillie d’échange de bitcoin dont Mark Karpeles était le patron. MtGox était la principale Bourse de cette monnaie virtuelle, avec 80% des transactions mondiales. Mais la disparition soudaine de 650.000 bitcoins a raison de l’entreprise. Karpelès tente d’expliquer: c’est un piratage, assure-t-il. En août 2015, après plus d’un an d’enquête, il est interpellé. En cellule, il tue le temps en essayant de rassembler ses souvenirs d’enfance, écrit-il à sa mère Anne Karpelès. Un an plus tard, c’est un tout autre homme qui est libéré sous caution, amaigri, assagi. A sa première audience, il donnait même l’image du gendre idéal. Et depuis, il attend sans faire de vagues son verdict prévu vendredi. Difficile de cerner exactement ce personnage atypique un rien déconnecté de la société mais devenu patron de 60 employés. «Enfant, il n’arrivait pas à trouver un copain qui puisse parler comme lui d’informatique, de physique quantique», témoigne sa mère face caméra dans un documentaire de 2017. Sa passion pour l’informatique («la seule chose qui l’intéressait» selon elle, aussi très versée sur le sujet), est arrivée très vite, mangeant tout le reste. Celui qu’on appellerait au Japon un «otaku» – une personne qui consacre tout son temps à des activités d’intérieur comme l’informatique, les mangas ou les jeux vidéo – et que sa mère qualifie de «surdoué» n’aimait pas l’école. Il n’avait d’yeux que pour l’ordinateur et les dinosaures en pixels qu’elle lui créait. Lui-même avouait dans une émission de la chaîne de télévision française Canal+ consacrée aux accros des PC avoir passé des journées et des journées devant l’écran à ingurgiter tout et n’importe quoi, sans la moindre activité physique.Puis, en 2005, c’est la rencontre avec le Japon, un pays où il séjourne alors brièvement et qu’il dit apprécier pour sa qualité de vie et le fait qu’on s’y sente en sécurité. A son retour en France, il a maille à partir avec son employeur, la société Linux Cyberjoueur, qui ne tarde pas à découvrir des bizarreries dans les transactions de données de la société et à mettre cela sur le compte de Karpelès. Se présentant en ligne comme un parangon de bonne vertu (il lui arrive de dénoncer des formes insidieuses de piratage informatique), ce natif de Bourgogne est rattrapé en 2010 par la justice française sur plainte du patron de Linux Cyberjoueur. Absent du territoire hexagonal, il écope d’un an d’emprisonnement avec sursis pour «accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données» et «modification frauduleuse de données». Il vit au Japon depuis 2009. Il y a créé sa propre société, nommée comme son chat: Tibanne. En 2011, il met la main sur une société, MtGox, dont l’acronyme signifie «Magic: The Gathering Online eXchange», une plateforme d’échange de cartes «Magic» très prisées des «otaku».Celui qui se cache en ligne sous le pseudonyme «Magical tux» («Pingouin magique») fait grossir cette petite entreprise qu’il transforme en Bourse de bitcoin. «Il était excité par l’argent que l’on pouvait générer sur ce marché des changes», témoigne anonymement une de ses connaissances dans un documentaire télévisé.