R. MAROKO (ACCeS) : « La réglementation des chaînes thématiques est obsolète dans bien des domaines »

839

Prévue à l’origine pour 2018, la loi audiovisuelle ne sera pas discutée au Parlement avant au plus tard janvier 2020, c’est ce qu’a annoncé Edouard Philippe lors d’un colloque consacré aux trente ans du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Du côté des chaînes thématiques payantes, il y a urgence à modifier la réglementation totalement obsolète. Entretien avec Richard MAROKO, DG de Mediawan Thematics & Président de l’ACCeS, Association des Chaînes Conventionnées éditrices de Services. 

MEDIA +

Pour quelle raison l’ACCeS souhaite-t-elle prendre la parole ?

RICHARD MAROKO

Il est important que les chaînes thématiques fassent entendre leurs voix dans le cadre des préparatifs de la loi sur l’audiovisuel. En France, les chaînes thématiques contribuent pour 100 M€ par an à la création. Ce sont des milliers d’emplois en jeu. Ces chaînes sont aujourd’hui dans une forme économique tout-à-fait relative. 51 chaînes ont résilié leur convention depuis 2015, la plupart pour fermeture. Ce n’est pas un indice de très bonne santé financière. Notre distribution par les FAI et les opérateurs représente 80% de nos ressources. En complément, la publicité représente seulement 20% des ressources des chaînes thématiques. Tous les renouvellements de distribution se font à la baisse avec des exigences croissantes en matière de programmes notamment. Les chaînes thématiques sont donc prises dans un étau et menacées pour certaines. Elles ont déjà réalisé des économies très importantes sur tous les plans et se retrouvent dans la situation d’en prévoir de nouvelles alors qu’il faut plus que jamais investir dans l’inédit, le récent, la notoriété, les nouveaux services, au bénéfice des abonnés et de la création.

MEDIA +

Comment analysez-vous la concurrence que subissent les chaînes thématiques ?

RICHARD MAROKO

Il y a un contexte économique très difficile qui est lié à la concurrence de toutes les chaînes gratuites et aux services de SVOD alimentés par des programmes financés à l’échelle mondiale. Il y a aussi une concurrence économique entre FAI qui provoque une baisse constante des prix qui impacte d’autant la rémunération des chaînes thématiques et leur capacité d’investissement.

MEDIA +

Certaines chaînes gratuites ont demandé à être payées par les FAI. Qu’en pensez-vous ?

RICHARD MAROKO

La rémunération des chaînes gratuites au même titre que les chaînes payantes, fragilise évidemment non seulement l’écosystème payant mais tout l’écosystème sur lequel repose le financement de la création. Il nous paraît très dangereux de ponctionner le budget contenu des distributeurs. Cette difficulté nouvelle extrêmement préoccupante vient s’ajouter à la réglementation que nous avons à respecter qui est obsolète dans bien des domaines.

MEDIA +

Quelle problématique rencontrez-vous avec cette régulation ?

RICHARD MAROKO

Cette régulation nous oblige à respecter les mêmes règles que les grandes chaînes hertziennes. Nos quotas de diffusion sont similaires aux leurs : 40% de quotas français et 60% de quotas européens. Pourquoi obliger une chaîne thématique qui se consacre au cinéma fantastique ou au jazz, à respecter strictement ces quotas ? C’est tout simplement irréaliste car la thématique n’est aucunement prise en compte contrairement à la législation européenne.

MEDIA +

Quelles contraintes empêchent les chaînes thématiques à se développer?

RICHARD MAROKO

La principale contrainte est sur le plan des obligations de production. Nos chaînes doivent investir dans la production quelque soit leur thématique ou leur situation financière. Il nous paraît beaucoup plus sain d’établir un seuil. En deçà d’un chiffre d’affaires de 10 M€, il nous paraît pertinent que ces chaînes n’aient pas d’obligations mais puissent déterminer librement leur politique d’investissement dans la création et consacrer le peu de chiffre d’affaires qu’elles génèrent à entretenir une grille de qualité. Nous sommes tous d’accord pour favoriser la création et l’investissement dans les programmes français. On demande simplement de pouvoir le faire de la façon la plus intelligente possible.

MEDIA +

Comment investir de manière intelligente ?

RICHARD MAROKO

Il nous paraît plus sensé d’investir fortement dans une œuvre documentaire ou de fiction que l’on va exporter dans le monde entier, plutôt que nous demander de saupoudrer juste pour satisfaire une réglementation aujourd’hui inadaptée. Pour information, les chaînes thématiques ont investi près de 230 M€ dans le documentaire entre 2007 et 2017, et 440 M€ dans la production audiovisuelle. On le sait peu, mais les chaînes thématiques payantes investissent plus que celles de la TNT. Ne faisons pas l’autruche. L’essentiel est de faire en sorte que les chaînes thématiques soient en bonne santé pour qu’elles continuent à investir. La loi ne peut pas s’appliquer uniformément à tous les acteurs. La régulation doit être adaptée, au cas par cas, sous l’égide du CSA. C’est à la fois un acteur et un expert de notre marché.

MEDIA +

Avez-vous rencontré le CSA ?

RICHARD MAROKO

Oui, nous l’avons rencontré, à de multiples reprises bien sûr. On doit avoir le courage de donner à un acteur tel que le CSA les moyens et la possibilité légale d’adapter la régulation quand c’est nécessaire.