Ukraine: le manque de connexion téléphonique, autre enfer des familles de Marioupol

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Au plus fort des bombardements, Viktor Zaroubine traversait Marioupol pour avertir ses proches de ses changements d’adresse, faute de réseau téléphonique. Puis il a fui quand certains sont restés. Sept semaines plus tard, il ignore toujours s’ils sont vivants, les communications étant presque impossibles avec la ville-martyre. «Je suis resté à Marioupol jusqu’au 15 mars, raconte cet étudiant en médecine vivant désormais dans l’ouest de l’Ukraine. J’ai perdu toute connexion à partir du 2 mars». «Dans la ville, les gens partaient d’un endroit dangereux vers un autre plus sûr. Alors quand c’était le cas pour moi, j’allais voir mes proches, je marquais ma nouvelle adresse sur un bout de papier, que je laissais devant leur porte ou à un voisin. C’était comme ça que je communiquais». Malgré les bombes. «Ça valait le coup de prendre ces risques pour donner des nouvelles», souffle-t-il lors d’un entretien téléphonique. Dans de très rares endroits de Marioupol, les opérateurs ukrainiens fonctionnaient encore, mais «vraiment mal», se souvient Viktor. Le 14 mars, il réussit miraculeusement à parler à un ami, qui lui indique la route à suivre pour rejoindre la partie de l’Ukraine encore sous contrôle des troupes de Kiev. Le lendemain, il part avec ses parents et deux camarades. Depuis, «il est presque impossible d’avoir des nouvelles de Marioupol», se lamente-t-il. De sa marraine et d’amis restés sur place, il ne sait rien, alors que les bombes russes ont quasiment détruit toute la ville, faisant au moins 20.000 morts, selon les autorités ukrainiennes. «J’ai essayé de les appeler, de leur envoyer des SMS, des messages via différentes applications. J’ai aussi tenté de passer par des bénévoles pour avoir de leurs nouvelles», énumère l’étudiant de 22 ans. Sans réussite. «Peut-être que leurs maisons ont brûlé? Peut-être n’ont-ils plus de téléphone ?», veut-il espérer. «Je crois qu’ils sont vivants, à moins qu’on me donne des preuves du contraire». Andriï, le frère cadet de Viktor, a également vécu l’horreur dans sa ville. L’absence de réseau téléphonique l’a empêché d’être prévenu du départ de sa famille. Mais il a quand même pu quitter Marioupol deux jours plus tard. Son ami Evgeny a toutefois choisi de rester «avec ses parents, dans sa maison pleine de souvenirs». Parfois, quand son téléphone réussit à accrocher une antenne ukrainienne, il lui envoie quelques nouvelles pour lui dire que «tout va bien», dit Andriï, qui ne veut pas communiquer le vrai nom d’Evgeny pour ne pas lui causer d’ennuis. A deux reprises, il a même pu le joindre via l’application Telegram, grâce à une puce Fenix, un opérateur téléphonique de la région autonomiste prorusse du Donbass, théâtre d’un conflit sanglant depuis 2014, ravivé par l’invasion russe. Mais la couverture de Fenix reste largement défaillante à Marioupol, selon six personnes interrogées, dont beaucoup craignent en outre que leurs conversations ne soient écoutées par Moscou. Et surtout, cet opérateur ne permet pas d’appeler directement en Ukraine, ou alors seulement via des applications de messagerie. Du fait d’un fort cryptage, les numéros de l’appelant sont alors «intraçables», peste Andriï. Sur la chaîne Telegram d’un ressortissant de Marioupol rencontré à Zaporijjia, à 230 km au nord-ouest, a pu constater une foule d’appels commençant par des indicatifs étrangers: Lettonie, Portugal, France, Espagne… émanant selon lui d’habitants de sa ville. «Si nous essayons de rappeler ces numéros, ça ne fonctionne pas», grogne-t-il. Anya, qui demande à témoigner sous pseudonyme pour éviter que ne soient identifiés son oncle et sa tante, encore à Marioupol, raconte avoir reçu «de nombreux appels venant de l’étranger, qui ne passaient pas» ces dernières semaines. A la faveur d’un coup de fil finalement concluant, elle a entendu son oncle lui dire qu’ils étaient «vivants», mais «incapables de quitter la ville».