Un musée de l’IA à San Francisco

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«Désolée, personne avec sourire, casquette et moustache, d’avoir tué l’essentiel de l’humanité», déclare un écran équipé d’un système d’intelligence artificielle (IA) à un visiteur qui passe la porte du «Misalignment Museum», une nouvelle exposition sur cette technologie controversée à San Francisco. A la fois perturbant et drôle, l’ordinateur est programmé pour identifier et énoncer 3 caractéristiques sur chaque individu qui entre dans son champ de vision. «L’idée est que nous sommes dans un monde post-apocalyptique où l’intelligence artificielle générale a éradiqué la plupart des humains. Puis elle a réalisé que c’était mal et créé un genre de mémorial pour eux», explique en riant Audrey Kim, la directrice de l’exposition. L’IA dite «générale» est un concept encore plus nébuleux que celui de l’intelligence artificielle. «C’est une IA capable de faire tout ce que les humains sont capables de faire, et aussi d’agir sur elle-même (…) comme un objet capable de s’auto-réparer par exemple», propose la conservatrice. San Francisco et la Silicon Valley voisine regorgent de start-up qui conçoivent différents types d’IA. Certaines rêvent de pouvoir un jour collaborer avec une machine presque comme avec un humain. Réalistes ou non, cette ambition et ces efforts ont un fort «potentiel destructeur», souligne Audrey Kim. Avec son exposition temporaire, qu’elle espère pérenniser, elle veut encourager une réflexion sur les dangers actuels et futurs liés à l’IA. Audrey Kim affectionne particulièrement une statue baptisée «Paperclip Embrace» ou «Etreinte en trombones»: deux bustes d’humains qui se tiennent dans les bras l’un de l’autre, fabriqués entièrement en trombones. L’oeuvre fait référence à une métaphore du philosophe Nick Bostrom, qui avait imaginé dans les années 2000 ce qui se passerait si une véritable intelligence artificielle était programmée pour créer des trombones. «Elle pourrait devenir de plus en plus puissante, et s’optimiser sans cesse pour atteindre son seul et unique objectif, au point de détruire toute l’humanité afin d’inonder le monde de trombones», raconte la directrice. Elle s’intéresse aux implications de l’IA et du «machine learning» (apprentissage automatisé des machines) depuis qu’elle a travaillé il y a quelques années chez Cruise, un spécialiste des voitures autonomes. Une technologie «incroyable», qui «pourrait réduire le nombre d’accidents dus à l’erreur humaine», mais présente aussi des risques, relate-t-elle. Les innovations dans l’IA ont semblé s’accélérer l’année dernière avec la percée des programmes capables de générer toutes sortes de textes et d’images, de façon instantanée, en fonction des requêtes des utilisateurs. Dans l’immédiat, l’IA générative inquiète aussi bien les professeurs (confrontés aux dissertations rédigées avec ChatGPT), que les artistes (dont les oeuvres ont servi à former certains modèles) et de nombreuses autres professions. Des associations luttent par ailleurs depuis des années contre les atteintes à la vie privée (avec la reconnaissance faciale) et les biais algorithmiques qui reproduisent des discriminations existantes (dans les logiciels de recrutement, par exemple).Sam Altman, le fondateur d’OpenAI, la start-up à l’origine du modèle GPT-3 et de ChatGPT, définit l’IA générale comme le moment où «les systèmes d’IA seront en général plus intelligents que les humains». Son avènement lui semble inévitable, et il pense que, bien orchestrée, elle «élèvera l’humanité». A l’étage inférieur de l’exposition, le philosophe Slavoj Zizek et le cinéaste Werner Herzog conversent à l’infini grâce à un dialogue et à des voix ultra-réalistes, générés par des IA. Cette oeuvre alerte sur les «deepfake», ces montages d’images, de son ou de vidéo qui visent à manipuler l’opinion. «Nous nous sommes lancés dans ce projet il y a seulement cinq mois, et pourtant beaucoup des technologies présentées ici semblent déjà presque primitives», remarque Audrey Kim.