Peut-on rire pendant la guerre, voire de la guerre elle-même? Réponse du producteur de l’émission satirique la plus populaire d’Israël, interrompue pendant quelques semaines: «Oui, la comédie est le meilleur remède contre la peur et l’anxiété». Muli Segev, producteur de l’émission «Eretz Nehederet» («Un pays merveilleux»), admet qu’il a été difficile de la reprendre. Mais ce divertissement hebdomadaire a depuis enregistré des records d’audience. Il a fallu un délai de décence de trois semaines pour que les comédiens reviennent à l’antenne après l’attaque, d’une violence inédite dans l’histoire d’Israël, perpétrée le 7 octobre par le Hamas à partir de Gaza. Selon les autorités, 1.200 personnes, en grande majorité des civils, ont été tuées. Environ 240 personnes ont été enlevées. En représailles, Israël, qui a promis «d’anéantir» le mouvement islamiste palestinien, a bombardé sans relâche Gaza, où plus de 16.200 personnes ont été tuées, selon le gouvernement du Hamas. «Eretz Nehederet» est diffusée depuis 20 ans à une heure de grande audience sur la deuxième chaîne de la télévision israélienne. Une institution. Mais après ce chaos, comment exister à nouveau? Connus pour leur humour noir et leur sketches égratignant la classe politique, notamment le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, les auteurs ont dû relever un défi d’une toute autre ampleur, et le programme a changé de nom pour l’occasion: «Eretz Nilhemet» («Un pays qui se bat»). Alors que la presse étrangère est largement accusée en Israël de prendre systématiquement fait et cause pour les Palestiniens, voire de complaisance avec le Hamas, l’émission a mis en scène dans un sketch en anglais une «interview exclusive» de Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza, par une journaliste occidentale, visiblement acquise à sa cause. Au risque de choquer, les comédiens n’hésitent pas à s’emparer de la très délicate question des otages détenus à Gaza. Mais en rire n’est pas indolore. Eli Finish, le comédien qui prête ses traits à un cadre du Hamas, s’est effondré pendant le tournage d’une scène qui comportait des pleurs d’enfant. Le monde politique israélien n’est pas épargné. Benjamin Netanyahu est d’autant plus ciblé qu’il est omniprésent depuis le 7 octobre. «Je voudrais me tourner vers le dirigeant du Hamas… Tu n’as pas honte? Après tout ce que j’ai fait pour toi, je t’ai libéré de prison…», dit par exemple le personnage qui incarne le chef du gouvernement. Yahya Sinouar avait été libéré de prison avec un millier de prisonniers palestiniens en 2011 en échange du soldat franco-israélien Gilad Shalit, prisonnier du Hamas pendant cinq ans. Les deux autres principales chaînes israéliennes proposent aussi des émissions humoristiques. «C’est comme ça et pas autrement», le sous-titre de l’émission «Sehou zé» («C’est comme ça»), s’est transformé dès le 12 octobre en «C’est comme ça… mais c’est parfois autrement». Moins corrosif que «Eretz Nehederet», le programme a invité des chanteurs, des déplacés de la guerre mais égratigne aussi Benjamin Netanyahu et certains de ses ministres. L’humour s’est aussi invité non loin du front: des humoristes, comme le très populaire Adir Miller, ont donné des représentations devant des soldats ou dans des hôtels accueillant des familles rescapées de l’attaque du 7 octobre. Le show d’Adir Miller a été diffusé à la télévision. Le comédien avoue en introduction avoir «beaucoup hésité», avant de décider de le faire pensant qu’il pouvait «aider à remonter un tout petit peu le moral des troupes». Quant à «Eretz Nehederet», dans un pays «en deuil où chacun de nous a perdu quelqu’un ou connaît quelqu’un qui a perdu un proche», «c’était plus difficile que jamais» de reprendre l’émission, admet Muli Segev. Mais le producteur l’affirme: «C’est le plus ancien secret du peuple juif: rire face à la mort».