Arnaud Lagardère, l’héritier déchu

455

Il était réputé indétrônable: Arnaud Lagardère, héritier d’un empire aéronautique et médiatique désormais bien amaigri, a abdiqué de son pouvoir absolu après avoir longtemps louvoyé entre ses puissants actionnaires. A 60 ans, il a juste obtenu un sursis avec un mandat de six ans comme PDG du groupe familial dans lequel il a effectué toute sa carrière, et qui a accepté mercredi de perdre son statut-bouclier contre les prises de pouvoir hostiles en devenant une société anonyme classique. Dès l’obtention de son DEA d’économie à Paris IX-Dauphine en 1986, Arnaud Lagardère avait été nommé administrateur de l’entreprise fondée par son père Jean-Luc Lagardère, artisan de la fusion entre l’avionneur Matra et l’éditeur Hachette. Trois ans plus tard, il est propulsé directeur général, puis part aux États-Unis, à la tête de l’éditeur d’encyclopédie Grolier récemment acquis, pour chercher des relais de croissance dans les médias numériques. Lorsque Jean-Luc Lagardère décède brutalement le 14 mars 2003, son fils unique lui succède comme gérant-commandité de Lagardère SCA. Souvent ramené à sa condition d’enfant bien né, le nouveau dirigeant rompt pourtant avec l’aventure paternelle dans l’aéronautique et la défense en vendant pour plus de 2 milliards d’euros les parts du groupe dans EADS, la maison mère d’Airbus. «Arnaud s’est toujours méfié de ce monde-là», fait de liens troubles entre l’establishment politique et les industries de défense, justifie M. Gadault. Il gère en revanche son groupe «exactement comme le faisait son père» et «considère qu’il n’a pas à s’immiscer dans le quotidien de la gestion des patrons d’activités en qui il place sa confiance». D’autres voient dans cet éloignement des affaires quotidiennes le signe d’un patron dilettante et désinvolte, une réputation qui lui colle encore à la peau. Arnaud Lagardère adopte aussi le style de l’entrepreneur moderne en s’affichant décontracté avec son épouse, le top-modèle Jade Foret de 30 ans sa cadette, sur les réseaux sociaux et dans un film en 2011 pour un magazine belge où le couple se mettait en scène dans un registre intime, s’attirant au passage quelques critiques. «On ne m’y reprendra plus», avait dit par la suite aux «Échos» le dirigeant au sourire enjôleur. Son aventure personnelle, ce passionné de tennis la voit dans le sport business (droits marketing, représentation d’athlètes, droits TV), une activité pour laquelle il investit plus d’un milliard d’euros. Las, le chiffre d’affaires ne décolle pas, la crise de 2008 pousse les clubs et fédérations à gérer eux-mêmes leurs droits, et la résiliation prématurée du contrat d’agence avec la Confédération africaine de football sonne le glas de cette diversification. Le groupe se désengage également des médias (une participation dans Canal+, les magazines «Elle» ou «Marie Claire», des sites comme Doctissimo, des studios de production) pour se concentrer sur l’édition et la distribution dans les gares et aéroports. La branche Lagardère Active se retrouve donc réduite à sa portion congrue, mais toujours influente: l’hebdomadaire le «JDD,» le magazine «Paris Match» et la station Europe 1, qu’il s’était personnellement engagée à redresser, sans succès. Acculé par le fonds britannique Amber, actionnaire depuis 2016, qui le force à révéler son endettement personnel, Arnaud Lagardère n’a d’autre choix que d’appeler à son secours les milliardaires Vincent Bolloré (aux manettes de Vivendi) puis Bernard Arnault qui laissent planer la menace d’un futur démantèlement. «Arnaud Lagardère a reçu une marguerite dont il a arraché les pétales année après année», tacle Yves Sabouret, ex-lieutenant de Jean-Luc Lagardère. La crise sanitaire n’a rien arrangé en mettant au tapis l’activité des boutiques Relay et autres magasins duty-free. Le groupe, qui avait habitué ses actionnaires à de généreux dividendes, a creusé sa perte en 2020, à 660 millions d’euros.