C. BIENAIME BESSE (CSA) : « La téléréalité au sens large représente un volume horaire équivalent au tiers de celui de la fiction »

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20 ans de téléréalité en France. Le CSA a analysé l’évolution de ce genre si décrié, qui en 2001 avec «Loft Story» (M6) a provoqué une rupture importante dans la conception des divertissements. Focus sur ce rapport avec Carole BIENAIMÉ BESSE, Membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

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Dès son apparition, la téléréalité a fait l’objet, de la part du CSA, d’un encadrement juridique et d’un suivi régulier. Qu’en est-il aujourd’hui ?

CAROLE BIENAIMÉ BESSE

C’est toujours le cas ! Les chaînes, et par conséquent tous les programmes, sont soumis au respect de la loi du 30 septembre 1986 et des conventions conclues avec le CSA. C’est une loi de liberté puisque nous n’intervenons jamais a priori. Cependant, cette liberté de communiquer est soumise à condition. C’est pourquoi, une semaine après l’apparition du phénomène «Loft Story», le CSA avait rappelé à M6 que ce programme d’un nouveau genre devait éviter tout dérapage de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine, et ne pas faire la promotion du tabac et de l’alcool. Il s’agissait de petits rappels pour que le jeune public ne soit pas exposé à des images inappropriées. Depuis, nous affinons constamment notre régulation. En 2011, dans une nouvelle recommandation relative à la signalétique jeunesse, le CSA avait formulé une préconisation spécifique aux programmes de téléréalités déconseillées au moins de 10 ans, en demandant aux chaînes que le pictogramme apparaisse pendant toute la durée de la diffusion du programme.

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En quelques années, le genre téléréalité a foncièrement évolué…

CAROLE BIENAIMÉ BESSE

Il y a aujourd’hui plusieurs catégories au sein du même genre de programme. Il y a des téléréalités qui révèlent des talents, font partager des connaissances ou mettent en valeur le dépassement de soi. De ce point de vue c’est plutôt positif. La catégorie sur laquelle le CSA est le plus intervenu concerne la téléréalité d’enfermement, dont les protagonistes se voient souvent attribuer des rôles stéréotypés : les femmes sonthypersexuées et les hommes virils et dominants. Le CSA a aussi la charge de lutter contre les stéréotypessexistes, sexuels et sexués. Après avoir parfois sanctionné, mais surtout alerté les producteurs et les diffuseurs, les propos stéréotypés ou les images dégradantes de la femme étaient moins systématiques.

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Quelle est l’influence du genre téléréalité sur les programmes en France ?

CAROLE BIENAIMÉ BESSE

Comme à chaque fois dans l’histoire de la télévision, l’apparition d’un genre nouveau a une incidence sur tout le paysage audiovisuel. La téléréalité a influencé de nombreux programmes ces deux dernières décennies, favorisant de nouveaux modes d’écriture et de narration : le confessionnal, le retour face-caméra, font désormais partie de la norme et sont privilégiés aux commentaires hors-champ. La téléréalité, qui se décline aussi dans le genre des magazines, des jeux et des divertissements, s’est aussi inspirée de l’existance des télénovelas et/ou de concours de talents qui existaient depuis des années. Cela va dans les deux sens. C’est l’histoire de la télévision.

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Volume horaire, répartition, identification, déclinaisons, que faut-il retenir du rapport du CSA ?

CAROLE BIENAIMÉ BESSE

De 2010 à 2019, le CSA a recensé 140 programmes de téléréalité, ce qui représente un volume de 67.523 heures, en progression continue d’année en année. Selon notre rapport, la téléréalité au sens large représente en 2019 un volume horaire équivalent au tiers de celui de la fiction. Plusieurs facteurs expliquent l’engouement des chaînes pour la téléréalité ces dernières années. Ce sont des programmes ayant déjà fait leurs preuves à l’étranger, qui sont rentables et qui reposent sur des marques fortes, permettant aux chaînes de se différencier, tout en captant un jeune public.  Le volume horaire de la téléréalité dite de «vie collective» ou d’enfermement sur les chaînes françaises a été multiplié par trois depuis 2010. Pour les groupes audiovisuels indépendants, les séries-réalité permettent la réalisation des quotas de diffusion et des obligations d’investissements dans la production audiovisuelle. Dans un contexte ultra concurrentiel et sur fond de crise du marché publicitaire, l’acquisition de droits de diffusion de programmes originaux dits patrimoniaux est devenue compliquée pour certains.

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La téléréalité continuera-t-elle à avoir mauvaise presse ?

CAROLE BIENAIMÉ BESSE

Si certains programmes ont mauvaise presse, notre étude montre aussi que la téléréalité est un genre très plébiscité par le public. C’est tout le paradoxe de ce genre télévisuel. Certains de ces programmes mériteraient sincèrement de se réinventer, cependant, sans dire qu’il y a de bons ou de mauvais élèves, il faut envisager la téléréalité comme un genre large et multiple. Des rendez-vous comme «The Voice» ou «Top Chef» ont fait émerger des talents qui participent aujourd’hui au rayonnement culturel de la France.