Cannes/ «Julieta» : registre noir pour le vingtième film de Pedro Almodovar

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Pedro Almodovar a ajouté mardi un nouveau portrait de femme, celui d’une mère en souffrance, à la galerie déjà riche des figures féminines qui dominent les films en compétition pour la Palme d’or à Cannes. Pour son vingtième film, le cinéaste a choisi un registre noir, bien loin de la Movida trépidante, et un personnage vulnérable, «Julieta», différente des femmes fortes qu’il affectionne d’habitude.

Professeur de grec et passionnée de mythologie, Julieta est une jeune femme blonde et solaire dont l’avenir s’annonce radieux. Elle va voir sa vie tourner au tragique avec la mort de l’homme qu’elle aime, un pêcheur emporté par la tempête, et la disparition de sa fille unique, qui ne veut plus avoir de contacts avec elle.  Le film est hanté par le thème de la culpabilité: celle de ne pas avoir réussi à empêcher un suicide, d’avoir pris la place d’une épouse tout juste décédée ou d’une dispute avec le père de sa fille avant qu’il ne périsse en mer. Autant d’événements que Julieta semble devoir payer au prix fort. «Je me sentais coupable de la mort de ton père. Je t’ai transmis ma culpabilité comme un virus», écrit Julieta à sa fille, dans son journal car elle ne sait comment la joindre. «Dans ce film, le destin est très présent. Julieta est la victime des événements de sa vie» et reçoit une «punition sévère», a expliqué Almodovar, lors de la conférence de presse du film. «Je prends de l’âge (…). Je n’aurais jamais pu réaliser un tel film avant», a confié le réalisateur de 66 ans, six fois sélectionné à Cannes, mais jamais récompensé. Le film est porté par deux actrices épatantes: Adriana Ugarte, révélée comme vedette de séries télévisées espagnoles à succès, qui incarne la Julieta amoureuse et sensuelle des débuts, puis Emma Suarez, la mère sans espoir qui erre telle un zombie dans Madrid, le visage de l’une prenant la place de l’autre dans un plan qui fait l’affiche du film. A mi-parcours du festival, Julieta rejoint le cortège des héroïnes qui marqueront cette 69e édition. Qu’il s’agisse de Rachel, la mère célibataire au chômage du Britannique Ken Loach dans «Moi, Daniel Blake», ou d’Ines, la jeune femme d’affaires qui n’arrive plus à communiquer avec sa famille dans «Toni Erdmann» de l’Allemande Maren Ade. Sans oublier la jeune Star pleine d’énergie d’«Americain Honey» de l’Anglaise Andrea Arnold, la femme en mal d’amour de «Mal de Pierres» de la Française Nicole Garcia, avec une Marion Cotillard ardente, ou Mildred, jeune femme noire de «Loving» de l’Américain Jeff Nichols en lutte contre la ségrégation raciale.

Aux côtés d’Almodovar et de ses actrices, qui devaient monter les marches du Palais des Festivals dans la soirée, 2 autres films de la compétition proposaient mardi des personnages féminins marquants: la jeune femme tourmentée par la mort de son jumeau, incarnée par Kristen Stewart dans «Personal Shopper» d’Olivier Assayas, et celui d’une sexagénaire indépendante et tenace, Sonia Braga, dans «Aquarius» du Brésilien Kleber Mendonça Filho. D’autres figures féminines sont annoncées d’ici à la fin du festival dimanche, en particulier «La Fille inconnue» des frères Dardenne, avec Adèle Haenel en jeune médecin, «Elle» du Néerlandais Paul Verhoeven, avec une Isabelle Huppert dont la vie bascule sous le poids du passé, ou encore l’héroïne du conte sanglant «Neon Demon», la toute jeune Elle Fanning (18 ans) choisie par le réalisateur danois Nicolas Winding Refn.