Dalida et Piaf renaissent grâce à l’IA : Skygge explore un monde musical réinventé

Screenshot

Dalida qui chante le rap mélancolique de PNL, Edith Piaf qui roule les «r» sur Stromae: avec l’IA générative, le compositeur Skygge veut «recréer un monde qui n’a pas existé», au risque de soulever des problématiques juridiques. «Que du biff, que du biff / Rien n’a changé dans ma putain d’tête», entonne la voix reconnaissable de Dalida, dans un studio de la Maison de la radio et de la musique à Paris, mardi soir. L’oreille de l’auditeur bugge: une des légendes de la variété française qui reprend «Autre monde» du duo de rappeurs PNL, sorti en 2019, 32 ans après son décès? Derrière ce troublant anachronisme se cache le musicien, compositeur et producteur Benoit Carré, alias Skygge, qui a collaboré en 2017 à «Hello World», décrit comme le 1er album composé par des artistes avec l’IA. Présentées dans le cadre de la France Music Week – semaine internationale à Paris pour promouvoir la filière musicale française – ses «Chansons impossibles», reprises du répertoire actuel par des interprètes disparus du siècle dernier, bluffent par leur réalisme. La voix d’Edith Piaf s’envole sur «Formidable» (2013) de Stromae, celle de Georges Brassens est crédible sur «Balance ton quoi», tube féministe d’Angèle (2019). Ancien de chez Sony CSL, la branche recherche de la major du disque, puis du leader mondial du streaming Spotify, l’artiste mène ce projet indépendant sur des logiciels en open source, accessibles à tous. Sa recette est basée sur le clonage vocal, une technique qui remplace un timbre par celui d’une autre personne. Skygge a fabriqué ses propres modèles et les a entraînés grâce à des enregistrements de voix piochés dans différents albums d’un même artiste. Quand il chante, c’est la voix, artificiellement recréée, de la star disparue qui sort des enceintes. «Ce que l’IA apprend dans ces modèles-là, c’est pas vraiment comment chantent les chanteurs et les chanteuses, c’est comment leur voix se comporte, si par exemple ils attaquent toujours les notes un peu en bas, s’ils ont tel vibrato plutôt qu’un autre, et puis leur timbre», détaille le compositeur. Il a aussi utilisé des images de ces artistes, elles aussi agrémentées d’IA. Hormis des expressions faciales figées, quelques détails incohérents et des sonorités parfois légèrement métalliques, l’illusion globale fonctionne. Sa démarche s’inscrit dans l’hantologie, néologisme du philosophe français Jacques Derrida pour qualifier un mouvement artistique apparu dans les années 2000, qui convoque les fantômes du passé pour créer des oeuvres nouvelles. En 2023, les Beatles se sont réunis sur une chanson inédite, «Now and then», pour laquelle la voix de John Lennon a été reconstituée à partir d’un enregistrement sur une cassette audio. L’utilisation de la musique générée par IA s’invite aussi dans le cinéma et les jeux vidéo. Mais ces innovations ne sont pas sans risque: l’IA générative peut brouiller la vérité (deepfakes) ou être utilisée par des fraudeurs qui cherchent à détourner des royalties sur les plateformes d’écoute en ligne. «Pour l’instant, pour moi, c’est de l’expérimentation plus qu’un projet commercial», affirme Skygge, ajoutant toutefois avoir été contacté par un éditeur séduit par l’idée de faire revivre de grandes voix de la chanson française de son catalogue, à travers de nouveaux enregistrements. Au-delà de la réflexion éthique, le recours à ces technologies soulève des questions juridiques. «Ce que je fais, c’est un peu illégal», vu la règlementation européenne sur la protection des données personnelles (RGPD), notamment biométriques, concède l’artiste. Côté droits d’auteur, l’interprète de la chanson est-il la star décédée que le public croit entendre ou Skygge, qui en prononce les paroles ? L’intéressé, qui prône une expérience live «un peu hybride», n’a pas encore la réponse.