Haine sur internet: la ministre de la Justice lance une réflexion sur la loi sur la liberté de la presse

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Nicole Belloubet s’attaquera-t-elle à la loi de 1881? Pour mieux réprimer la haine sur internet, la ministre de la Justice envisage de sortir l’injure raciale du texte qui régit la liberté de la presse, ce qui constituerait un «non sens» et une «grave menace» préviennent des spécialistes. Alors que doit être bientôt débattue à l’Assemblée nationale la proposition de loi Avia pour lutter contre la haine en ligne, la ministre veut améliorer la réponse pénale. Faut-il pour cela faire basculer dans «le droit commun» l’injure, la diffamation et la provocation à la haine? Ces délits ont donné lieu à Paris à de mémorables procès devant la 17e chambre correctionnelle, dite «chambre des libertés»: des caricatures du prophète Mahomet aux propos négationnistes d’un Robert Faurisson ou d’un Alain Soral. Des journaux satiriques comme «Le Canard enchaîné» ou «Charlie Hebdo» y ont gagné le droit de rire de bonne foi, les survivants du génocide arménien celui d’accuser leurs détracteurs, célébrités et politiques celui de préserver leur vie privée. Le débat est «complexe et délicat», reconnaît la ministre dans le «JDD». Elle veut lancer «une réflexion approfondie sur la liberté d’expression sur les réseaux sociaux», s’apprête à constituer un groupe d’experts sur le sujet et à «saisir pour avis» la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Plusieurs avocats spécialisés en droit de la presse ont dénoncé «l’hypocrisie» et la «dangerosité» d’une telle réforme. Le vice-bâtonnier de Paris Basile Ader met en garde contre des «idées fausses»: «Ce n’est pas la loi de 1881 qui entrave la répression, mais plus sûrement l’inaction des parquets et surtout la difficulté d’identification des auteurs d’injures haineuses» et donc la nécessité de «responsabiliser les plateformes», ce à quoi s’attèle justement la loi Avia. Fondamentale pour les journalistes, la loi du 29 juillet 1881 instaure un régime dérogatoire leur permettant de protéger leurs sources et de livrer des informations d’intérêt général en prenant le risque parfois de la diffamation publique. Ce que le patron du site d’informations Médiapart, Edwy Plenel, appelle «le droit de révéler des informations qui dérangent». «La loi de 1881 permet de prouver notre bonne foi», a-t-il rappelé sur Twitter. Pour l’avocat de «Charlie Hebdo», Richard Malka, «l’équilibre de cette loi, c’est d’accorder un régime procédural plutôt très protecteur pour la liberté d’expression, avec des règles sur le fond qui sont très sévères, en particulier en matière de preuve de la vérité. Y toucher de manière aussi profonde est irresponsable». «Depuis le début, ce gouvernement a montré qu’il considérait la liberté d’expression comme très secondaire», affirme Christophe Bigot, vice-président de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse. «Sortir l’injure et la diffamation, c’est mettre à néant la loi sur la presse puisqu’elles représentent 90% du contentieux», tempête-t-il. Et aussi «une très grande hypocrisie», car pour lui ce n’est pas la loi de 1881 qui est inadaptée à la haine en ligne, mais toutes les lois «à cause de la difficulté de l’anonymat» sur Internet. Dans une tribune récente dans «Libération», la procureure générale de Paris Catherine Champrenault réclamait cette réforme, jugeant le texte plus que centenaire inadapté. Elle épinglait notamment des contraintes procédurales contribuant «à allonger les délais de jugement et à retarder l’exécution effective des sanctions prononcées». «Un faux débat» pour les avocats. «Pourquoi ça dure longtemps les affaires de presse? Parce qu’on n’a pas assez de magistrats», pointe Me Bigot. Le vice-bâtonnier estime qu’une piste pourrait être explorée pour améliorer la réponse pénale: «Quand le message est évident et les conditions de flagrance sont réunies, le parquet pourrait agir en comparution immédiate pour injure raciale: il suffirait d’un alinéa de plus à l’article 54 de la loi de 1881».