Ifeoma Ozoma, ex-employée de géants de la Silicon Valley reconvertie en militante pour le droit de dénoncer les injustices dans la tech

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Le secret d’une alerte bien lancée? Une préparation minutieuse, qui anticipe tous les coups bas, selon Ifeoma Ozoma, ex-employée de plusieurs géants de la Silicon Valley reconvertie en militante pour le droit de dénoncer les injustices dans la tech. «C’est toujours blessant d’être accusée d’être une menteuse, mais j’avais des preuves pour tout. J’imaginais ce que cela aurait été sans préparation, et rien que l’idée me donnait le vertige», a raconté la lanceuse d’alerte afro-américaine lors d’une table ronde organisée par des ONG sur ce sujet début novembre. Ancienne spécialiste des relations avec le gouvernement pour Google et Pinterest, et de la modération des contenus chez Facebook, elle continue d’oeuvrer en faveur de l’éthique dans la tech, via son cabinet de conseil EarthSeed. Avec un 1er grand succès: l’adoption récente en Californie d’une loi qu’elle a contribué à rédiger, baptisée «Silenced No More» – «Plus jamais réduit au silence». A partir de janvier, ce texte interdira aux employeurs d’avoir recours à des clauses de confidentialité pour empêcher les victimes de harcèlement ou de discrimination au travail de s’exprimer librement. Mi-octobre, elle a aussi mis en ligne un guide pour les lanceurs d’alerte. Diplômée de l’université de Yale en sciences politiques, la jeune femme de 29 ans est née en Alaska d’immigrants nigérians. Elle a quitté Pinterest fin mai 2020 après des mois de plaintes en interne et jusqu’à l’Etat de Californie, devant lequel elle a accusé le réseau social de discrimination et de représailles racistes. Elle reprochait à l’entreprise de la payer moins bien que si elle avait été un homme, mais aussi leur absence de réaction quand un collègue avait mis en ligne sa photo, son nom et son numéro de portable, pour l’exposer à du harcèlement anonyme. Mi-juin, son récit accablant sur Twitter a suscité un scandale pour la société. «Pinterest a dit à des reporters que le patron ne savait pas que j’avais ainsi été jetée en pâture par un confrère. (…) Mais j’avais les emails échangés avec le PDG sur ce sujet pour prouver qu’il était bien au courant», relate Ifeoma Ozoma. Les firmes mises en cause «n’hésitent pas à tenter de discréditer les lanceurs d’alerte par tous les moyens», abonde Libby Liu, la dirigeante de Whistleblower Aid, qui accompagne notamment Frances Haugen. Depuis septembre, cette ex-ingénieure de Facebook braque les projecteurs sur le linge sale de la plateforme. C’est la dernière en date d’une longue série de personnes qui ont dénoncé les pratiques non éthiques d’organisations beaucoup plus puissantes qu’elles. Souvent, ils ont tout à y perdre, à moins de s’être bien armés et bien entourés. «Aux Etats-Unis, par exemple, tirer la sonnette d’alarme contre son employeur, c’est prendre la décision de perdre son assurance santé, pour soi et sa famille. Ce n’est pas rien», détaille Ifeoma Ozoma. Les fuites de documents et enquêtes d’ex-employés et de journalistes ont entaché la réputation des géants numériques. Mais elles ont eu peu de conséquences tangibles pour la Silicon Valley, qui dépense des millions de dollars en lobbying. Et ce que Frances Haugen martèle sur Facebook n’est pas nouveau non plus. «De nombreux reporters et ONG le disent et l’écrivent depuis longtemps», selon Ifeoma Ozoma. «(…) les révélations s’ajoutent aux précédentes et s’accumulent». Des manifestations anti-sexisme chez Google en 2018 aux avertissements d’anciens hauts responsables de Facebook, la pression monte. Après le coup d’éclat d’Ifeoma Ozoma, d’autres salariées de Pinterest ont donné de la voix. Au point qu’en décembre 2020, la société a versé 22 millions de dollars à Françoise Brougher, son ancienne directrice des opérations pour mettre fin à des poursuites pour discrimination sexiste.