L’enjeu des constellations de satellites

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C’est l’arbre qui cache la forêt: derrière le mastodonte du spatial SpaceX, les projets de constellations de satellites pour apporter du haut débit depuis l’espace se multiplient pour des raisons commerciales, mais aussi pour répondre aux intérêts stratégiques des Etats. Quand ce mouvement vers la colonisation de l’orbite basse, située à quelques centaines de kilomètres d’altitude, a débuté, le secteur s’attendait à ce qu’il n’y ait de la place que pour deux ou trois constellations visant à répondre à l’insatiable appétit d’avoir internet en tout lieu. «Mais le nombre d’acteurs ne cesse d’augmenter, il y a maintenant au moins huit projets majeurs de constellations», chacune destinée à assurer une couverture permanente des communications, relève Caleb Henry, directeur de la recherche chez Quilty Analytics. Derrière SpaceX et sa constellation Starlink, Oneweb et Amazon, la Chine mise sur sa constellation Guowang de 13.000 satellites, le canadien Telesat sur 300 satellites, la start-up allemande Rivada sur 600, sans compter le projet Iris de l’Union européenne (170 satellites) ou celui porté par l’armée américaine et sa Space Development Agency (300 à 500 satellites), énumère-t-il.Conséquence, le nombre de satellites au-dessus de nos têtes va exploser. De 121 lancés en 2012 à 2.714 l’an passé et 380 pour les seuls deux premiers mois de 2023, ils devraient passer à 24.500 au cours de la prochaine décennie, dont plus de la moitié pour les trois principales constellations, selon les prévisions du cabinet spécialisé Euroconsult. La constellation Starlink, portée par la société d’Elon Musk, a déjà mis en l’air près de 3.600 satellites et a été autorisée en décembre à déployer 7.500 des 30.000 satellites de la 2ème génération de sa constellation. Starlink s’est déjà imposé comme le 2ème fournisseur mondial d’internet par satellite, avec plus d’un million de clients, derrière l’opérateur historique HughesNet et ses satellites géostationnaires. Oneweb, l’opérateur britannique en passe d’être racheté par Eutelsat, a réalisé début mars son avant-dernier lancement et devrait avoir complété sa constellation de 650 satellites d’ici la fin du mois. Quant à Kuiper, projet longtemps nimbé de secret porté par le géant Amazon, il doit lui déployer en mai les deux premiers prototypes de sa future constellation de 3.246 satellites. «Nous pensons que nous sommes dans les temps pour déployer plus de la moitié de notre constellation d’ici mi-2026», sous peine de perdre les droits de fréquence qui ont été attribués, a affirmé mardi son responsable Dave Limp à l’occasion de la conférence spatiale Satellite à Washington. Même si les projets commerciaux Lightspeed de Telesat ou de Rivada n’ont pas encore bouclé leur financement, «les gens ont sous-estimé combien les intérêts souverains des Etats seraient en jeu» et contribueraient à la prolifération des constellations, estime Caleb Henry. Pour le projet européen Iris, «il n’y avait pas vraiment d’élan en faveur de la constellation jusqu’à l’Ukraine, où l’on a vu ce que Starlink a fait» en fournissant des terminaux permettant aux Ukrainiens mais aussi aux militaires de rester connectés, fait-il valoir. L’«utilité commerciale» de cette constellation passe selon au «second plan», selon lui. «L’enjeu géopolitique est assez clair», abonde un industriel européen sous couvert d’anonymat, il s’agit de «montrer que l’Europe est souveraine et de ne pas laisser l’orbite basse colonisée par d’autres». Mark Dankberg, président de l’opérateur historique Viasat, s’inquiète lui de voir les nouveaux géants du spatial assécher la concurrence. «Et la question de la durabilité est clé» alors que l’orbite basse va être de plus en plus encombrée, estime-t-il. Reste à savoir si les clients seront au rendez-vous de ces gigabits de données provenant de l’espace, selon Caleb Henry, or «aujourd’hui personne ne sait encore comment cet afflux va être digéré par le marché».