Martin Bouygues, du BTP aux télécoms

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Héritier discret et peu charismatique, patron autodidacte et gestionnaire hors pair, Martin Bouygues, 68 ans, prépare sa succession après avoir développé et diversifié le groupe de BTP hérité de son père pour en faire un géant des télécoms. S’il reste président du groupe fondé par son père Francis en 1952, Martin Bouygues a annoncé jeudi qu’il abandonnait la direction générale du groupe. Et de rappeler que le géant du CAC 40 n’a «connu que deux PDG» en 70 ans: son père, décédé en 1993, et lui-même. Peu disert, ayant l’exposition médiatique en horreur, Martin Bouygues est surtout connu pour sa gestion patrimoniale du groupe familial. Aujourd’hui, il passe la main à la 3ème génération. Son fils aîné Edward est directeur de la stratégie de Bouygues Telecom et fait partie du CA du groupe, tandis que ses deux autres enfants William et Charlotte siègent au conseil d’administration de Bouygues SA. Depuis qu’il en a pris les rênes il y a 31 ans, Martin Bouygues a consolidé Bouygues et l’a développé à l’international. Le groupe est présent dans 80 pays dans des secteurs qui vont des chantiers aux télécoms en passant par la chaîne de télévision TF1. «Il a la qualité de préparer sa succession (….), à la différence d’autres patrons», note un représentant du personnel de Bouygues. Le nom de Martin Bouygues reste attaché à Bouygues Telecom, son «bébé» créé en 1994. Il y a tout juste un an, il vantait la «magnifique performance» de son groupe en 2019, tout en rappelant que «Bouygues Telecom [avait] failli mourir» lors des turbulentes années 2010. Mais le géant n’a pas été épargné par la crise sanitaire: il a annoncé mercredi une chute du bénéfice net à 696 millions d’euros en 2020 contre 1,184 milliard en 2019. Agé de seulement 37 ans lorsqu’il accède à la présidence du groupe et n’ayant d’autre diplôme que le baccalauréat, Martin Bouygues semblait alors être le moins qualifié des fils pour succéder au charismatique Francis. «J’ai eu la grande chance d’avoir un professeur exceptionnel, Francis Bouygues. Porter le nom de Bouygues, c’est un privilège important. Cela m’ouvre des portes dans le monde entier», a-t-il coutume de dire. Mais l’aîné Nicolas, à qui était promise la succession, se brouilla avec son père et partit en claquant la porte alors que l’autre frère Olivier, son associé dans la holding familiale, n’était pas intéressé. Martin Bouygues a accédé au sommet après en avoir gravi tous les échelons: entré à 22 ans comme conducteur de travaux, fondateur et PDG de la division maison individuelle, PDG de la Saur (distribution d’eau), revendue depuis, puis vice-président du conseil d’administration. Moins autoritaire et plus convivial que son père, il s’est appuyé sur les lieutenants de celui-ci, dont Patrick Le Lay, décédé l’an dernier, et sur l’élite des ouvriers regroupés dans «l’Ordre du Minorange». «Ne faire que ce que l’on comprend et cesser le travail pendant les vacances et les week-ends» sera son credo. «Les 10 premières années de ma présidence ont été très difficiles en raison des affaires judiciaires qu’à eu à affronter le groupe», reconnaît-il en faisant allusion notamment au financement illégal de l’homme politique Michel Noir par l’intermédiaire de Pierre Botton. Sa proximité avec la droite lui sera encore reprochée lors de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995 et pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, car il est le parrain de son fils Louis, même s’il a toujours affirmé que l’amitié avec ce dernier n’a pas favorisé les affaires du groupe, «au contraire». Habile manoeuvrier, il réussit à évincer du capital du groupe, avec l’aide de François Pinault, le raider breton Vincent Bolloré. Grand amateur de chasse, de voile et de lecture – sauf de la presse, car son antipathie pour les journalistes est proverbiale -, il est aussi réputé être gastronome et amateur de vin. En 2006, avec Olivier, il a acheté pour 140 millions d’euros un 2nd cru de Saint-Estèphe, le Château Montrose. Ce vin était le préféré de son père et trônait sur la table des repas dominicaux.