Pays-Bas: «La Jeune Fille à la perle» version IA suscite la controverse

294

Une version réalisée à l’aide de l’intelligence artificielle d’une des oeuvres les plus illustres de l’histoire de la peinture, «La Jeune Fille à la perle» de Vermeer, suscitait la controverse vendredi dernier dans un musée néerlandais. À première vue, on retrouve la luminosité si caractéristique du tableau original et le regard emblématique de la jeune fille mais à y regarder de plus près, des détails étranges sautent aux yeux. Cette jeune fille n’a pas qu’une boucle d’oreille mais deux, une à chaque côté, étincelantes, et des tâches de rousseur d’une nuance de rouge un peu inhumaine jonchent son visage. L’oeuvre version intelligence artificielle (IA) fait partie d’une exposition au musée Mauritshuis de La Haye, rassemblant des reproductions de fans de «La Jeune Fille à la perle» de Vermeer (1665), actuellement prêtée au Rijksmuseum d’Amsterdam pour une rétrospective événement sur le peintre néerlandais. La décision de l’exposer a suscité la controverse aux Pays-Bas et sur les réseaux sociaux : l’IA a-t-elle sa place dans un musée comme le Mauritshuis, qui rassemble notamment des oeuvres classiques de Vermeer et de Rembrandt ? «C’est controversé, donc les gens sont pour ou contre», observe Boris de Munnick, attaché de presse du Mauritshuis. «Les gens qui ont sélectionné l’oeuvre, ils l’ont aimée, ils savaient que c’était de l’IA mais nous avons aimé la création, alors nous l’avons choisie, et nous l’avons accrochée» au mur, explique-t-il. Julian van Dieken, créateur numérique basé à Berlin, a réalisé l’image pour le concours «Ma fille à la perle» du Mauritshuis, appelant les gens à envoyer leur version du célèbre tableau. Il a utilisé l’outil d’IA Midjourney, capable de générer des images complexes à l’aide de millions d’images provenant d’Internet, et Photoshop. Elle a été sélectionnée parmi l’une des cinq créations – sur les 3.482 soumises – exposées dans la pièce où trône habituellement la vraie «Jeune Fille à la perle». «C’est surréaliste de la voir dans un musée», a écrit Julian van Dieken sur Instagram. Les participants au concours, âgés de trois à 94 ans, ont utilisé toutes sortes d’outils et d’objets tels que des crayons, de la peinture, du textile et même de la salade et des fleurs. La sélection d’une image générée par l’IA a fait des remous. L’artiste néerlandaise Iris Compiet a déclaré sur la page Instagram de l’exposition du musée que c’était «une honte et une insulte incroyable», un avis partagé par des dizaines d’autres internautes. «C’est une insulte à l’héritage de Vermeer et aussi à tout artiste en activité. Venant d’un musée, c’est une vraie gifle», a fustigé Mme Compiet, comparant l’image au monstre de Frankenstein. Elle estime que les outils d’IA violent le droit d’auteur d’autres artistes, en utilisant leurs oeuvres comme base pour des images générées artificiellement, et se servent de photos d’internautes. Il s’agit d’une «technologie contraire à l’éthique», estime l’artiste Eva Toorenent, qui oeuvre pour la régulation de l’IA. «Sans le travail d’artistes humains, ce programme ne pourrait tout simplement pas générer d’oeuvres», a-t-elle déclaré, citée par le quotidien néerlandais «De Volkskrant». «C’est une question si difficile, qu’est-ce qui est de l’art et qu’est-ce qui ne l’est pas?», s’interroge Boris de Munnick, ajoutant que le Mauritshuis n’avait pas délibérément cherché à ouvrir le débat. «Nous pensons que c’est une belle image, nous pensons que c’est un processus créatif», et «nous ne sommes pas le (genre de) musée pour discuter si l’IA à sa place dans un musée d’art», ajoute-t-il. Les visiteurs sont divisés, selon lui: «Les plus jeunes ont tendance à dire, c’est de l’intelligence artificielle, rien de nouveau», tandis que les personnes âgées préfèrent plutôt «les peintures plus traditionnelles».