Raphaël Halet, lanceur d’alerte …

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Écoeuré par l’évasion fiscale pratiquée par des centaines de multinationales avec le concours de son employeur luxembourgeois, Raphaël Halet décide en 2012 de révéler à un journaliste des documents confidentiels, devenant un acteur central d’un scandale au retentissement mondial. Condamné en 2014 au Luxembourg pour «vol, fraude informatique et blanchiment» à six mois de prison avec sursis et 1.000 euros d’amende dans cette affaire dite des «LuxLeaks», ce père de deux enfants, âgé de 45 ans, est au centre de l’arrêt que rendra jeudi la Cour d’appel de Metz sur la protection des sources. Les magistrats se prononceront sur la validité d’une fouille effectuée en novembre 2014 à son domicile mosellan en présence de représentants de son ex-employeur, le cabinet de conseil luxembourgeois PricewaterhouseCoopers (PwC). Avec l’aval d’une juge de Metz, le cabinet avait saisi ses échanges de courriels avec Edouard Perrin, le journaliste auquel M. Halet avait livré des informations. La révélation s’était produite en mai 2012, avec un reportage d’Edouard Perrin diffusé sur France 2 dans l’émission «Cash Investigation». A l’origine de ce reportage, le lanceur d’alerte Antoine Delcourt qui révélait les accords fiscaux secrets, des «rescrits fiscaux», conclus par le Grand-Duché du Luxembourg avec PwC au profit de sociétés clientes du cabinet d’audit. «Soit je fermais les yeux et j’étais complice, soit je réagissais», explique M. Halet. Son embauche par PwC, en 2006, avait mis fin à une passe délicate pour ce photographe indépendant dont l’entreprise avait périclité. D’abord assistant personnel, il est muté en 2011 au «Tax Process Support», le service fiscal de PwC, «une équipe de 300 personnes». Là, «toujours assistant», il découvre un véritable «montage industriel de l’évasion fiscale». Fils et petit-fils d’instituteurs, «élevé avec le sens du service public» et marié avec une secrétaire médicale, il est «heurté» par les rescrits fiscaux, une pratique qui peut être parfaitement légale lorsqu’il s’agit d’interroger le fisc sur l’interprétation des textes, mais qui constituait en l’espèce autant de «montages conçus pour l’évasion fiscale», selon lui. Pour sa vie professionnelle, il se «tirait une balle dans le pied» mais «l’argent qui échappe au fisc, c’est en moins pour les écoles, l’hôpital… On parle de dizaines, voire de centaines de milliards d’euros». Exemple: ce géant de la vente en ligne dont «une filiale déclarait 500 millions d’euros de c.a. et zéro salarié». M. Halet envoie donc un mail à M. Perrin sur l’adresse «saveonemilliondollar@gmail.com». «Je participe malgré moi à un système d’évasion fiscale (…). Ce que vous avez expliqué n’est qu’une petite partie de l’iceberg, (…) il y a beaucoup plus d’entreprises, les sommes en jeu sont beaucoup plus importantes. Je voudrais contribuer modestement à changer ce système», écrit-il anonymement. Puis sous le pseudo de «Max» et une nouvelle adresse, «centmilledollarsausoleil», il livre des informations sur «l’évasion fiscale au quotidien» ainsi qu’une «dizaine de documents». En 2014, la masse de documents livrés par Raphaël Halet et Antoine Delcourt concourront à relancer l’affaire avec l’enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (Ciji) qui révèle 340 accords conclus par le Luxembourg avec des multinationales. Licencié, M. Halet, qui se voit menacer par son ex-employeur de devoir verser des millions d’euros de dommages et intérêts, subit de multiples pressions et est contraint de signer un accord de confidentialité restrictif. Il n’a pourtant «aucun regret». Désormais, M. Halet se bat pour que la justice européenne lui «reconnaisse le statut de lanceur d’alerte» que lui a refusé la justice luxembourgeoise. Reconverti dans la fonction publique, un «monde qui (lui) va mieux», sa détermination est intacte en dépit de ce «marathon» judiciaire, le «combat d’une vie». Raphaël Halet ne se fait pourtant aucune illusion: «Changer le cap du paquebot» fiscal passera «par d’autres révélations».