S. SITBON-GOMEZ (France.tv) «On utilise le linéaire comme un levier pour renforcer la puissance du non-linéaire»

À l’aube d’une transformation majeure pour France Télévisions, Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des antennes et des programmes, décrypte les enjeux de l’unification des marques France 2, France 3, France 4 et France 5 sous la bannière unique «france.tv». Entre révolution visuelle, stratégie de plateforme et ambition face aux géants du streaming, il détaille une vision renouvelée du service public, pensée pour tous les écrans, tous les publics… et tournée vers l’avenir.

MEDIA +
À partir du 6 juin, les noms France 2, France 3 et France 5 disparaissent au profit de la marque unique «france.tv». Quelles sont les implications concrètes de cette unification pour les contenus, les antennes et la stratégie de plateforme ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

C’est une petite révolution. En unifiant nos marques linéaires et non linéaires, nous sommes effectivement précurseurs en France. Mais ce mouvement n’est pas isolé : la BBC, sous l’impulsion de Tim Davie, a lancé une démarche similaire il y a trois ans. Yle, en Finlande, a également suivi ce chemin. Tous les services publics se posent aujourd’hui la même question: comment mieux unifier leurs offres, qu’elles soient linéaires ou numériques, pour valoriser leurs plateformes, qui sont le véritable levier de conquête des audiences de demain.

MEDIA +
Ce changement peut interroger les téléspectateurs, notamment sur la disparition des noms historiques. N’est-ce pas un risque ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

Pas vraiment. La BBC a supprimé le logo BBC One ou BBC Two à l’antenne dès 1997, et cela ne l’a pas empêchée de continuer à très bien fonctionner. Les téléspectateurs savent parfaitement se repérer. Les téléviseurs offrent de nombreux outils pour cela. Les chaînes continueront d’exister dans les guides, sur les programmes TV, etc. Et de toute façon, le public est souvent plus agile que nous : il sait trouver ses programmes, où qu’ils soient, à n’importe quel moment.

MEDIA +
Donc vous conservez les identités propres à chaque canal ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

Absolument. Nous tenons même à renforcer les spécificités de chaque chaîne. Prenons France 4, par exemple: elle conservera sa promesse très forte d’une programmation jeunesse en journée et culturelle en soirée. France 3 a finalisé sa régionalisation, avec l’affirmation de la marque ICI. France 5 a clarifié son positionnement, et France 2 reste généraliste. Ce qui change, c’est que ces chaînes deviennent des adresses, mais la marque média, c’est désormais france.tv. La marque qui incarne le service public.

MEDIA +
Cette transition reflète aussi une évolution plus large : le linéaire perd du terrain face au non-linéaire ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

Le linéaire n’est pas mort, loin de là. Il reste un outil puissant, une vitrine, un repère. Il permet de valoriser et faire découvrir nos contenus. Ce que n’ont pas forcément les plateformes de streaming. Notre force, c’est de pouvoir créer ce lien : grâce au linéaire, les téléspectateurs savent ce qu’ils peuvent retrouver ensuite sur la plateforme. Nous utilisons le linéaire comme un levier pour renforcer la puissance du non-linéaire.

MEDIA +
Avec cette stratégie, vous vous positionnez face aux géants comme Netflix, Prime Video ou Disney+ ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

C’est clairement notre ambition. Les nouvelles mesures d’audience qui vont intégrer les plateformes permettront bientôt de mieux comparer. Nous voulons que France Télévisions soit le premier média des Français, en termes de couverture, d’impact et de diversité. Oui, nous avons vocation à tenir tête aux plateformes en France.

MEDIA +
Mais cela suppose aussi une certaine pédagogie auprès du public, non ?
Stéphane SITBON-GOMEZ

Oui, notamment pour les plus jeunes. Un exemple concret : certains enfants qui avaient l’habitude de regarder France 4 sur le canal 14 devront maintenant aller sur le canal 4. S’ils restent sur le 14, ils tomberont sur CNews, ce qui n’est évidemment pas la même promesse éditoriale… Il faut donc accompagner ce changement. Mais j’ai confiance dans l’intelligence du public. Il connaît très bien nos programmes et s’y retrouve parfaitement.

MEDIA +
L’offre «augmentée», c’est un terme fort. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour le canal 4 ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

Cela signifie mieux valoriser ce que l’on fait déjà très bien, et investir là où c’est prioritaire. On parle beaucoup du spectacle vivant : cela fait 20 ans que France Télévisions le propose, mais longtemps, on le reléguait la nuit ou en été. Aujourd’hui, on l’expose davantage. «L’été des festivals», par exemple, sera traité comme jamais, avec une programmation en live, au rythme de la culture. Et oui, dans un contexte de tension budgétaire, nous faisons le choix de préserver nos investissements, notamment sur la création, et de renforcer nos moyens pour les jeunes publics. L’offre augmentée, c’est donc faire plus, mais surtout mieux.

MEDIA +
Cela suppose aussi une évolution du métier de programmateur ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

Totalement. La programmation est au cœur de notre stratégie, mais elle est devenue beaucoup plus complexe. Depuis la rentrée, avec l’intégration de la preview, le replay, la programmation se pense désormais en 360° : antenne linéaire, réseaux sociaux, plateformes… Tout est connecté. C’est un métier encore plus exigeant qu’il ne l’était il y a quelques années.

MEDIA +
Et votre rapport à l’audience veille, celle du lendemain matin à 9h ? Il a changé aussi ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

Oui. Même si cette audience reste structurante, on voit bien qu’elle ne reflète plus toute la réalité. Quand certaines fictions réalisent 55 % de leur audience en différé ou en replay, l’audience veille ne dit plus tout. Les usages ont changé, et pas seulement chez les jeunes. Aujourd’hui, tous les publics consomment en non-linéaire, quel que soit leur âge.

MEDIA +
Il faudrait alors peut-être intégrer l’audience sur 7 jours dès la veille ?
STÉPHANE SITBON-GOMEZ

J’aimerais beaucoup, oui. Ce serait une mesure plus juste de l’impact réel de nos programmes.

MEDIA +

Avec l’arrivée des contenus de l’INA, de LCP, Public Sénat, TV5Monde, France 24, on sent que la plateforme france.tv veut devenir un acteur central. Êtes-vous prêts à accueillir aussi des partenaires privés ?

STÉPHANE SITBON-GOMEZ
Aujourd’hui, notre priorité est d’agréger les forces de l’audiovisuel public, de montrer toute sa richesse et sa diversité. Ce mouvement inclut bien sûr nos partenaires historiques. Peut-être qu’un jour, si nous devenons une plateforme suffisamment puissante, des acteurs privés souhaiteront nous rejoindre. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Pour l’instant, nous nous concentrons sur le renforcement de notre maison commune.