Trois questions à… Luc Boyer, directeur de recherche du Dauphine Marketing Stratégie Prospective à l’Université Paris-Dauphine.

    Une étude prospective sur le devenir des compétences et des métiers de la publicité et de la communication sera présentée lors d’un colloque à l’Université Paris-Dauphine, le 6 décembre. Le Professeur Luc Boyer nous en dévoile quelques enseignements.

    média+ : Les nouvelles technologies auront-elles une influence sur le marché de la publicité ?

    Luc Boyer : Dans les 5 ou 10 prochaines années, internet devrait être le nouveau média le plus concerné par l’évolution. Ce chiffre d’affaires est encore marginal, mais il a un taux de progression considérable entre 50 et 100% par an. Internet a déjà doublé le cinéma et devrait récupérer 10-15 ou 20% de la publicité dans 5 à 10 ans. La publicité sur téléphone mobile devrait aussi décoller. C’est un média de masse, mais aussi un matériel de très grande proximité qui pourrait permettre du marketing presque direct. Ce dont je suis sûr, c’est que dans 10 ans, il sera multimédia. On peut penser que tous les médias seront intéractifs. La possibilité sera alors donnée aux individus d’émettre à leur tour de l’information. Je crois que c’est un mouvement sociologique fort : les gens ont envie de s’exprimer, même s’ils n’ont rien à dire… C’est éminemment discutable sur le fond car ce n’est pas parce que le peuple a la parole que le peuple a raison. Mais on voit bien que le virage est pris. Le mobile sera sûrement un support de convivialité quasi tribale d’un nouveau style.

    média+ : Comment la publicité pourrait s’intégrer à ces nouveaux médias ?

    Luc Boyer : On a du mal à imaginer une télévision de masse et relativement individualisée. Mais dans dix ans, c’est le même écran qui servira pour l’ordinateur et pour la télé. La technologie a bousculé nos concepts de «communication média» et de «communication hors-média», qui désigne le marketing direct. La séparation qu’on a voulu très forte entre le «média» et le «hors-média» est en train de tomber. Internet, par exemple est inclassable. Le mobile transgresse aussi cette séparation pour individualiser un peu un média de masse. Prenons l’exemple d’un grand média actuel : l’affichage. D’ici 10 ans, depuis un bureau, on pourra changer les panneaux qui sont à des milliers de kilomètres. Ce média pourra donc être à la fois global, car la même affiche pourra être projetée partout en France, et individualisé car la publicité dans une commune pourra annoncer un événement local. Pour la télévision et le mobile, ce sera strictement la même chose.

    média+ : Quel autre phénomène pourrait avoir un impact sur la publicité ?

    Luc Boyer : On prend tous les jours le chemin vers la concentration des groupes de médias. On les voit qui se rachètent pour avoir une communication globale. Jean-Marie Messier a essayé de mélanger le contenu et le contenant. Il a eu raison beaucoup trop tôt. Il y aura un oligopole d’une vingtaine de groupes internationaux de communication qui fera 70% du marché. C’est risqué pour le pluralisme. Dès qu’il y a oligopole, ce sont des pans entiers de culture qui tombent. Selon qu’il s’agisse d’une firme américaine, chinoise ou française, la relation au client et au consommateur est foncièrement différente. En France, on en est encore à une conception ambitieuse de la publicité. Elle peut impacter le comportement du consommateur. La campagne de «Benetton» en est une illustration. Aux Etats-Unis, la pub n’est là que pour faire la promotion des ventes. Le publicitaire met au service de l’annonceur sa connaissance des réactions du consommateur. L’efficacité est décuplée par la puissance des grands groupes. La publicité serait alors plutôt conservatrice et non pas innovante. Mais la volonté d’éliminer le «risque» pourrait l’américaniser et l’affadir.