A quoi va ressembler Twitter dirigé par Elon Musk ?

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L’homme le plus riche du monde a promis plus de liberté, plus de transparence et moins de spams sur le réseau social, mais cette vision idéaliste pourrait se traduire par plus de responsabilités pour les utilisateurs.Sauf rebondissement majeur, le patron de Tesla et SpaceX va devenir le propriétaire d’une plateforme devenue centrale dans la vie politique des démocraties et la vie quotidienne de dizaines de millions de personnes. Il a brossé sa vision à gros traits – augmenter la confiance dans un réseau «essentiel pour le futur de la civilisation» et «débloquer son potentiel» – mais certains de ses objectifs inquiètent. A l’heure où Facebook, YouTube, Twitter et leurs concurrents sont accusés de contribuer à la propagation de la désinformation, à la radicalisation de pans de la société et, au final, à des violences dans la vie réelle, Elon Musk estime au contraire que la parole n’est pas assez libre sur le réseau des gazouillis. «En cas de doute, laissons le tweet exister» : c’est ainsi qu’il a résumé son approche en matière de modération des contenus lors d’une interview, après avoir néanmoins reconnu qu’il y avait des limites imposées par la loi à la liberté d’expression. «Nous devrions être très réticents à supprimer des choses ou à suspendre des utilisateurs définitivement», a-t-il détaillé. Cette vision est applaudie par les conservateurs américains, notamment les partisans de l’ex président américain Donald Trump, banni de Twitter pour incitation à la violence, après plusieurs avertissements et tweets retirés. Mais pour Jessica Gonzalez, co-directrice de l’ONG Free Press, libéraliser la modération risque de «rendre la plateforme encore plus toxique». Elon Musk se sert souvent de son profil aux 84 millions d’abonnés pour se moquer de personnes en désaccord avec lui, voire les insulter, comme ce spéléologue britannique qu’il avait qualifié de «mec pédo» («pedo guy»). Un Twitter contrôlé par Musk n’a rien d’une victoire pour la liberté d’expression, estime Kyla Garrett-Wagner, professeure de Droit de la communication à la Syracuse University. «C’est le Far West, contrôlé par une élite qui ne représente pas les voix des minorités». Et au-delà des inquiétudes éthiques, laisser les utilisateurs se débrouiller ne fera pas forcément recette : «Dès que vous retirez les arbitres, la partie peut devenir brutale. Beaucoup de personnes ne voudront plus jouer», résume John Wihbey, spécialiste des médias de la Northeastern University et ancien consultant de Twitter. La responsabilité de policer les échanges peut aussi retomber sur les annonceurs, soucieux que leurs publicités ne soient pas adossées à des contenus problématiques. «Ils doivent dire clairement qu’ils partiront de la plateforme si elle se transforme en foire d’empoigne où prospèrent la haine, l’extrémisme et la désinformation», a exhorté Angelo Carusone, le directeur de l’ONG Media Matters for America. Elon Musk a promis de débarrasser Twitter des spams, d’authentifier les utilisateurs et de renforcer la transparence. Sur le papier, ces ambitions plaisent à tout le monde, à commencer par les dirigeants actuels de l’entreprise californienne. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, soulignent les experts. La transparence ne va pas «susciter une épiphanie» chez les utilisateurs, «qui ne lisent même pas le règlement» avant de l’accepter, s’amuse Kyla Garrett-Wagner. «C’est comme les étiquettes sur les paquets de cigarettes, les gens fument quand même». Paradoxalement, le patron qui a engagé 21 milliards de dollars de sa fortune personnelle pour acheter la «place publique» semble envisager un avenir ouvert et décentralisé pour la plateforme. Une vision a priori proche de celle du fondateur de Twitter, Jack Dorsey. Fin 2019, il avait créé une petite équipe indépendante baptisée «Bluesky» («ciel bleu»), chargée de concevoir de nouveaux protocoles informatiques capables de répondre aux défis des réseaux (désinformation, haine, etc) de façon décentralisée.