Après 30 ans d’absence, le réalisateur espagnol Víctor Erice fait sensation au Festival de Cannes

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Il n’avait plus tourné de fiction depuis trois décennies: le réalisateur espagnol Víctor Erice a fait sensation à Cannes avec son dernier film «Fermer les yeux», qui révèle certaines de ses «blessures»… mais a été montré en son absence. Présentée hors compétition, cette enquête sur la disparition d’un acteur pendant le tournage d’un film a suscité beaucoup d’émotion et reçu un accueil très enthousiaste, des critiques déplorant même qu’il ne soit pas en lice pour la Palme d’or.

Ce film marque le retour de ce cinéaste iconoclaste de 82 ans – seulement quatre longs métrages en 50 ans – que le public n’avait pas vu à Cannes depuis 30 ans. «C’est le Terrence Malick espagnol», avait loué le délégué général du festival, Thierry Frémaux, en référence à son rythme de production. Lors de la projection lundi soir, de nombreux curieux étaient présents mais aussi le Japonais Hirokazu Kore-Eda (en compétition avec «Monster») ou encore le Mexicain Amat Escalante (qui a présenté «Perdidos en la noche»). Son absence est liée «à des raisons personnelles, du moins c’est ce qu’on nous a dit», a déclaré mardi l’actrice Ana Torrent, qui avait été découverte à l’âge de six par le cinéaste et connue pour son rôle, enfant, dans «Cria Cuervos». Dans le film, elle joue la fille de l’acteur disparu, Ana. Comme dans «Dans l’esprit de la ruche», qu’elle avait tourné sous la direction d’Erice il y a 50 ans, elle garde son nom d’origine. Mais contrairement à «L’esprit de la ruche», présenté à Cannes en 1973, ce nouveau film est nourri de dialogues. Il raconte la disparition d’un acteur (José Coronado) et la recherche réactivée 22 ans plus tard par son ami et en même temps le dernier réalisateur qui a travaillé avec lui (Manolo Solo). «C’est peut-être son film le plus personnel», avance Manolo Solo. L’idée de tourner avec Erice était intimidante, reconnaît cet acteur qui s’est fait remarquer comme second rôle dans des films comme «El buen patrón» (2021), qui avait raflé six Goyas. «Je me suis senti intimidé par cet immense personnage et la communication n’était pas tout à fait fluide. Mais en même temps, j’ai senti que c’était comme un cadeau», ajoute-t-il. Victor Erice est un cinéaste admiré en Espagne et à l’étranger, primé dans des festivals tels que Saint-Sébastien et Cannes, et dont le discours visuel a influencé des générations de cinéastes. Il est le seul Espagnol présent dans le classement des 100 meilleurs films de tous les temps, réalisé par le British Film Institute et dévoilé en début d’année. «J’ai essayé de m’adapter à sa façon de travailler. Au début, j’ai posé beaucoup de questions. Jusqu’à ce qu’il me dise: «Tu te casses trop la tête. Abandonne-toi au mystère»», explique le comédien. Peu de détails avaient filtré sur le film, que les acteurs ont découvert lundi soir. Ana Torrent reconnaît qu’elle avait un avantage sur les autres acteurs: celui d’avoir déjà tourné avec Victor Erice. «Le personnage était un peu fait pour moi. Il connaît une partie de moi que j’avais envie de faire ressurgir», révèle-t-elle. «Nous avons été tous les deux très surpris pendant le tournage. Nous nous regardions, il y avait beaucoup d’amour». «Fermer les yeux» est le retour de Victor Erice à la fiction après trois décennies de documentaires («Le Songe de la lumière», prix du jury à Cannes en 1992), de commandes et de projets avortés.

Le film évoque indirectement certains des échecs d’Erice, comme l’adaptation ratée d’un roman de Juan Marsé. «Ce sont peut-être des blessures», commente Manolo Solo.