Le cinéma français à la traîne de la vague #MeToo

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Pas de dénonciations de harceleurs et une «liberté d’importuner» défendue par la star Catherine Deneuve: le cinéma français est apparu à la traîne de la vague #MeToo avant de se mobiliser à l’approche des César. Juste avant cette cérémonie vendredi soir, le 7e art hexagonal a pris pas moins de trois initiatives. Une opération «Ruban blanc», baptisée #MaintenantOnAgit, aura lieu pendant cette célébration du cinéma, pour recueillir des dons reversés à des associations; un collectif «50-50 pour 2020» a été créé pour oeuvrer en faveur de la parité, avec site internet et études à la clé; et une tribune a été publiée jeudi dans «Le Monde» pour demander la création de quotas dans le financement du cinéma. Pourtant depuis les premières révélations début octobre 2017, qui ont conduit plus d’une centaine de femmes à accuser le producteur Harvey Weinstein et mis au ban plusieurs célébrités comme l’acteur Kevin Spacey, le monde du cinéma français était resté bien timide. A l’exception d’une Florence Darel ayant révélé avoir été harcelée par le producteur Jacques Dorfmann, aucune actrice n’a dénoncé publiquement un homme, ni aucun groupe de comédiennes ne s’est exprimé pour en démasquer un dans le cinéma français, comme cela a été le cas aux Etats-Unis. Les seules actrices sorties du bois, comme Léa Seydoux et Emma De Caunes, se sont manifestées pour dénoncer… Harvey Weinstein. Bien au contraire, l’une des actrices françaises les plus célèbres, l’icône Catherine Deneuve, est allée publiquement à contre-courant du mouvement porté par les hashtags #Metoo et #Balancetonporc». Elle a signé avec une centaine de femmes une tribune où elles défendent «une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle» et s’inquiètent d’«un féminisme qui prend le visage d’une haine des hommes et de la sexualité». L’actrice, qui a fini par s’excuser auprès des «victimes d’actes odieux», s’était déjà attirée les foudres de féministes pour avoir défendu le cinéaste Roman Polanski, accusé du viol en 1977 d’une adolescente de 13 ans.
Des rétrospectives à la Cinémathèque de l’oeuvre de ce dernier et de Jean-Claude Brisseau, condamné en 2005 pour le harcèlement sexuel de deux jeunes actrices, ont été dénoncées par des féministes, conduisant au report de celle consacrée à Brisseau. Dans le sillage de Catherine Deneuve, l’ex-icône Brigitte Bardot, a elle aussi critiqué la vague de dénonciations, la jugeant «hypocrite, ridicule, sans intérêt». Comment expliquer cette frilosité ? Pour la productrice et actrice Julie Gayet, qui a rejoint le mouvement du ruban blanc, il fallait «trouver l’axe dans la façon d’agir» et «se mettre d’accord sur la meilleure manière de formuler les choses». «Pour la presse, ces derniers mois, il fallait à tout prix trouver le Weinstein français, dénicher des affaires croustillantes, obtenir des noms. Cela mettait mal à l’aise, paralysait tout le monde», ajoute-t-elle dans une interview publiée jeudi par le journal «Le Monde». «Et puis cela ne posait pas le problème sur le fond: pour résoudre les violences, il faut aussi résoudre le rapport de pouvoir», estime-t-elle. Jugeant «rageante» cette «chape de silence», la réalisatrice Axelle Ropert («La famille Wolberg»), elle, avance dans Les Inrockuptibles une «raison structurelle»: «le cinéma français est plus artisanal, avec beaucoup de petits indépendants», dit-elle. «Mais aussi, le milieu n’est pas encore structuré par des mouvements militants comme aux Etats-Unis». «Et surtout, le plus grave», conclut la cinéaste: «le cinéma ferme sa gueule car dans le fond, il repose complètement sur le mythe du «mec salaud mais génial»…».