Harvey Weinstein ou la chute d’un faiseur d’Oscars

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Il était un producteur de cinéma visionnaire, faiseur d’Oscars, donateur du parti démocrate. Sa condamnation mercredi à 23 ans de prison, deux semaines après qu’il eut été reconnu coupable d’agressions sexuelles par un jury new-yorkais, scelle la descente aux enfers d’Harvey Weinstein, devenu l’incarnation du prédateur sexuel pour le mouvement #MeToo. L’accession au gotha d’Hollywood de ce fils d’un diamantaire new-yorkais avait pris des années, il devint paria en quelques jours. En octobre 2017, le «NYT» et le «New Yorker» publient les témoignages de femmes, actrices ou mannequins pour la plupart, accusant le producteur de les avoir agressées sexuellement, puis de les avoir parfois payées pour se taire.Trois semaines après, plus de 80 femmes, dont des célébrités comme Ashley Judd, Angelina Jolie, Salma Hayek ou Léa Seydoux, l’avaient accusé de harcèlement ou d’agressions allant du baiser forcé au viol, à New York, Los Angeles, Cannes, Paris, Londres ou Toronto, sur plus de 3 décennies. Harvey Weinstein, qui aura 68 ans le 19 mars, marié 2 fois et père de 5 enfants, a eu beau maintenir que ses relations étaient toutes consenties, #MeToo était né: ce mouvement a dénoncé les abus sexuels présumés de centaines d’hommes de pouvoir. Celui qui était la coqueluche des festivals du 7e art est banni de l’Académie du cinéma qui remet les Oscars. Les plaintes contre lui au civil se multiplient. Le 25 mai 2018, il est inculpé à New York, pour 2 agressions seulement, une en 2006 et l’autre en 2013. Les images du producteur menotté font le tour du monde. En liberté surveillée jusqu’à son procès, il fait profil bas pendant des mois. Peu avant le début des audiences en janvier, il donne une rare interview, qui suscitera un tollé. «J’ai fait plus de films réalisés par des femmes et sur des femmes que n’importe quel producteur (…) J’étais le premier! J’étais le pionnier!», déclarait-il au «New York Post». Il n’a pas témoigné à son procès, mais lors du prononcé de sa peine vendredi, il s’est présenté comme une victime du mouvement #MeToo. «J’étais le 1er exemple et maintenant, il y a des milliers d’hommes accusés», a-t-il fait valoir. «Je suis inquiet pour ce pays». Beaucoup d’accusations contre Harvey Weinstein datent des années 1990 ou du début des années 2000, les grandes années de Miramax, le studio qu’il créa en 1979 avec son frère cadet Bob (Mira pour leur mère Miriam, Max pour leur père). Après «Sexe, mensonges et vidéo», de Steven Soderbergh, encensé par la critique en 1989, Miramax produit le premier succès de Quentin Tarantino, «Pulp Fiction» (1994), puis «Le Patient anglais» (1996, neuf Oscars) ou «Shakespeare in Love» (1998, sept Oscars). Les frères Weinstein revendent Miramax à Disney dès 1993, mais y travaillent jusqu’en 2005, année où ils lancent The Weinstein Company, qui produira encore de grands succès, comme «Inglourious Basterds» de Tarantino (2009), «Le Discours d’un roi» (2010) ou «The Artist» (2011). De 1990 à 2016, le producteur, surnommé «Harvey les ciseaux» pour ses interventions féroces au montage, décrocha 81 fois les célèbres statuettes d’Hollywood.Lors de la cérémonie des Golden Globes en 2012, Meryl Streep le qualifia, en riant, de «Dieu». Aujourd’hui, s’il inspire Hollywood, c’est comme personnage maléfique: un thriller inspiré du scandale, «The Assistant», est sorti fin janvier et au moins un autre est en gestation, produit par Brad Pitt. Un temps, sa fortune était évaluée entre 240 et 300 millions de dollars, et il contribuait généreusement aux campagnes de candidats démocrates, dont Barack Obama et Hillary Clinton. Mais il a vendu depuis 2 ans 5 de ses propriétés, pour 60 millions de dollars, selon l’accusation. La Weinstein Company a disparu: mise en faillite, ses actifs ont été rachetés par le fonds d’investissement Lantern.