À l’heure où les médias traversent des mutations profondes, la mesure de l’audience reste une clé de voûte incontournable. Julien Rosanvallon, DGA de Médiamétrie, explore dans son dernier livre, «La mesure des Médias» (Ed. Economica), co-écrit avec Benoît Cassaigne et Philippe Tassi, les enjeux historiques, techniques et éthiques liés à cette mission essentielle. Il nous éclaire sur les défis et perspectives d’un secteur en perpétuelle transformation.
MEDIA +
Vous retracez l’histoire de la mesure des médias, quels moments-clés ont marqué son évolution ?
JULIEN ROSANVALLON
L’arrivée du digital a été un tournant majeur. Pendant longtemps, les médias se développaient dans une logique d’addition : un nouveau média n’en chassait pas un autre. Le digital a bouleversé cet équilibre en introduisant une concurrence plus frontale. La presse fut le premier média touché. Cela eut pour conséquence une baisse de sa diffusion papier, mais parallèlement, une très forte digitalisation de ses usages. Plus de la moitié de l’audience de la presse est aujourd’hui sur Internet. Cette transformation s’est aussi accompagnée d’une convergence entre les médias autour de la vidéo et de l’audio, ainsi qu’une convergence des écrans. Les plateformes numériques adoptent les codes des chaînes linéaires, tandis que les chaînes développent leurs propres plateformes. Enfin, l’économie numérique repose sur la donnée propriétaire, créant une rupture avec les anciennes mesures partagées par tous. Cela pose un défi majeur : comment recréer une mesure commune dans cet univers fragmenté ?
MEDIA +
Comment Médiamétrie s’adapte-t-elle pour rester un acteur neutre et crédible face à l’essor des données propriétaires ?
JULIEN ROSANVALLON
Médiamétrie a pris très tôt le tournant du digital, dès la fin des années 90, avec la mise en place des premières mesures d’audience Internet en France. Aujourd’hui, le défi réside dans la convergence : passer de mesures en silos à des mesures globales qui rassemblent tous les acteurs. Cela nécessite des règles communes, discutées et votées par des comités dédiés. Par exemple, Médiamétrie a annoncé le prochain lancement d’un comité cross-média, une initiative pionnière dans le monde, pour définir des modalités de comparaison entre différents formats et plateformes.
MEDIA +
La convergence des mesures (TV+Audio par exemple) bouleverse les silos traditionnels. Comment garantir une comparabilité fiable entre des univers si différents ?
JULIEN ROSANVALLON
Une mesure repose sur trois piliers: un échantillon ou des données, des technologies pour les exploiter, et des règles du jeu. Ces règles, appelées conventions de mesure, doivent aujourd’hui couvrir des catégories convergentes plutôt que des médias isolés. Le futur comité cross-média de Médiamétrie a pour mission d’établir ces règles, par exemple pour définir des modalités et indicateurs permettant la comparaison de vidéos présentes sur différents environnements / plateformes (chaîne linéaire, SVOD, partage vidéo, sociale…). C’est un enjeu complexe mais essentiel.
MEDIA +
Les plateformes globales imposent leurs standards internationaux. Comment Médiamétrie peut-elle préserver une approche locale tout en s’intégrant à cet écosystème mondial ?
JULIEN ROSANVALLON
Le numérique a rendu le jeu mondial, car les grandes plateformes proposent une offre uniforme à l’échelle internationale. Médiamétrie s’est associée à des acteurs globaux comme Nielsen et Kantar pour bénéficier de technologies éprouvées et collaborer sur des standards partagés. Nous avons également intensifié nos échanges avec des représentants internationaux, tout en maintenant une forte expertise locale. Nous suivons aussi avec attention les initiatives internationales portées par la WFA sur la mesure Cross-Média.
MEDIA +
Quel impact l’intelligence artificielle aura-t-elle sur les méthodes de mesure des médias ?
JULIEN ROSANVALLON
L’IA est déjà utilisée dans de nombreux modèles que nous utilisons pour analyser et traiter les données, mais elle ne remplace pas tout. Par exemple, certains estiment qu’une IA générative pourrait prédire les audiences ou les réactions du public. En réalité, la consommation des médias évolue constamment, et aucune IA ne peut encore modéliser cette dynamique en temps réel. Notre rôle, c’est de capter les nouveaux comportements du public, des données que l’on ne sait pas modéliser car les goûts du public évoluent et les médias créent en permanence de nouveaux contenus. Cependant, les technologies progressent vite, et nous restons attentifs aux avancées de ces outils.
MEDIA +
En regardant vers l’avenir, quelles transformations majeures attendez-vous dans la mesure des médias ?
JULIEN ROSANVALLON
La data et le digital offrent la possibilité de mesures encore plus précises et fines. Mais le principal défi reste de créer un consensus autour d’une mesure d’audience partagée, malgré la prolifération des données propriétaires. Les nouvelles technologies, l’IA et les nouveaux écrans continueront de transformer les usages. L’enjeu clé est de préserver une logique collective et de maintenir un langage commun entre tous les acteurs.