La chasse aux inégalités omniprésentes à la Berlinale

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Du rêve chimérique de migrants à l’exploitation de la pauvreté par les détenteurs du pouvoir, les critiques acerbes du modèle capitaliste et des inégalités de classe sont omniprésentes à la Berlinale, le festival du film de Berlin. Dans «Los Lobos», Lucia, une jeune infirmière devenue veuve, fuit le Mexique pour les Etats-Unis avec ses deux enfants en leur promettant d’aller à «Disneyland», incarnation utopique du «rêve américain». Mais, sans un sou, elle accepte de travailler dans une blanchisserie. Ses enfants, seuls dans un logement miteux d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique, s’inventent alors un monde imaginaire, échappatoire de leur quotidien miséreux. «Les migrants qui font le plus gros du travail sont ceux qui sont invisibles. Quand vous avez de l’argent, vous êtes les bienvenus dans le monde. Quand vous n’en avez pas… vous devez gagner votre place», explique l’actrice Martha Reyes Arias. A travers cette fable sociale poétique, le réalisateur mexicain Samuel Kishi Leopo rappelle l’importance des travailleurs immigrés, main-d’oeuvre servile et bon marché, dans la production économique d’un pays. «L’immigration n’est pas arrêtée par un mur. Nous avons besoin de plus d’opportunités dans nos pays. Un meilleur système social. La grande question est celle du néolibéralisme. Le capitalisme est comme un grand monstre», juge-t-il. Un point également soulevé par «I dream of Singapore» de Lei Yuan Bin. Son documentaire dépeint le sort des milliers de travailleurs venus du Bangladesh pour trouver du travail et une meilleure sécurité juridique à Singapour, la prospère cité-Etat du Sud-Est asiatique. Mais la réalité y est très différente car nombreuses sont les entreprises à fuir leurs responsabilités au moindre problème, brisant net le rêve de milliers de petites mains.Cependant, l’exploitation d’une main-d’oeuvre bon marché concerne également les autochtones. Sous forme de comédie, «Eeb Allay Ooo!» narre le parcours d’Anjani, un jeune homme d’un bidonville en périphérie de New Delhi contraint d’accepter un travail dangereux, mal considéré et mal rémunéré: chasseur de singes rhésus, une espèce qui pullule dans la ville. «92% de la population active indienne travaille dans le secteur informel de l’économie (…) Les gens sont désespérés par le manque d’emplois dignes et sont prêts à faire n’importe quoi pour conserver leur emploi actuel», accuse son réalisateur Prateek Vats. «Mon film est le produit d’un monde difficile à comprendre, un monde où être un singe est plus libérateur qu’être un humain». Rendre visibles les invisibles est aussi l’ambition d’»Eyimofe», 1er film des jumeaux nigérians Arie et Chuko Esiri. Technicien d’usine, Mofe «n’a pas de gants de sécurité et on attend de lui qu’il continue à travailler et à exécuter ses tâches (…) Il est aussi une victime du pays dont il est citoyen», expliquent de concert les réalisateurs. Pourtant, pas question d’émigrer: «En quittant le Nigéria, ces gens ont en fait tout à perdre: leurs familles, leur culture, leurs amours… et même leur vie si on pense au voyage pour certains», précisent-ils. Enfin, dans «One of These Days», Bastian Günther dresse un portrait au vitriol de la société américaine, où la misère sociale est exploitée sous forme de divertissement. Lors d’un concours d’endurance, des participants doivent garder leur main le plus longtemps posée sur un pick-up garé. Sans dormir, le dernier à tenir remporte le véhicule. Sauf que l’obsession du gain économique mène à la tragédie. «Quand j’ai entendu parler pour la première fois de ce concours d’endurance, j’ai eu l’impression d’avoir affaire à une exploitation des pauvres», poussés à «faire tout et n’importe quoi pour s’en sortir», explique son réalisateur allemand.