La classe politique française condamne dans une rare unanimité le bannissement de Donald Trump des réseaux sociaux, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire estimant lundi que «la régulation des géants du numérique ne peut pas se faire par l’oligarchie numérique elle-même». Se disant «choqué» par cette décision, le locataire de Bercy a dénoncé sur France Inter la «menace» de cette «oligarchie digitale» pour «les Etats et les démocraties» et affirmé que «le peuple souverain», «les Etats» et «la justice» sont seuls légitimes pour établir «la régulation des géants du numérique». Vendredi, Twitter a suspendu de façon permanente le compte du président des Etats-Unis, deux jours après l’occupation du Capitole par ses partisans. Facebook et d’autres services comme Snapchat et Twitch ont aussi supprimé indéfiniment les pages du président des Etats-Unis. Ce bannissement a été condamné à travers tout le spectre politique en France. Ailleurs en Europe, la chancelière allemande Angela Merkel a jugé la mesure «problématique» et le commissaire européen Thierry Breton a exprimé sa «perplexité». Le porte-parole du gouvernement français Gabriel Attal s’est dit «mal à l’aise» sur Europe 1 et a estimé que «réduire au silence» une personne sur les réseaux sociaux, devenus «une forme d’espace public», pose question en «l’absence de critères spécifiquement établis» par la loi. Le gouvernement avait tenté en 2020 de réguler la haine en ligne par une loi portée par la députée LREM Laetitia Avia. Le Conseil constitutionnel l’a rejetée en juin, jugeant qu’elle portait atteinte à la liberté d’expression. Interrogé à ce sujet, M. Attal a confirmé qu’«il faut trouver un autre chemin» et a précisé qu’»il y a une différence entre modérer un contenu et empêcher une personne» de s’exprimer. Samedi, le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O a affirmé qu’»au-delà de la haine en ligne, nous avons besoin d’inventer une nouvelle forme de supervision démocratique» alors que la mesure prise par Twitter «pose des questions fondamentales» sur «la régulation du débat public». Des politiques de tous bords ont dénoncé le rôle de censeurs pris par des entreprises privées dans un espace numérique que certains estiment devenu public. Le premier secrétaire du PS Olivier Faure considère que le danger est qu’»un patron d’une entreprise qui a une situation de quasi monopole puisse décider seul du droit d’expression» avant de s’en prendre à la «loi Avia»: «rien ne serait pire que d’avoir» «des plates-formes qui par excès de précaution en viennent à censurer». Le chef de file de LFI Jean-Luc Mélenchon a également protesté alors que la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen y voit un «véritable coup de force démocratique de la part de grands groupes privés qui considèrent aujourd’hui qu’ils ont plus de pouvoir, et c’est probablement vrai, qu’un État». François Ruffin, député LFI, a estimé lundi que si ces entreprises «peuvent couper les réseaux» d’une personnalité aussi importante que le président des Etats-Unis, «ils se sentiront les coudées encore plus franches», «demain», à l’égard de «tous les inféodés aux seigneurs numériques». «Dans les années qui viennent, nous aurons la question essentielle de la régulation et peut-être du démantèlement de certains de ces Gafa car ça fait planer sur nos têtes une menace démocratique sans pareil», a souligné Xavier Bertrand, président ex-LR de la région Hauts-de-France. A contre courant, la députée européenne Aurore Lalucq (S&D, sociaux-démocrates) a pour sa part remercié «pour une fois» Twitter. «Nous hurlons quand cette haine virtuelle a des conséquences dramatiques bien réelles, et il y en a eu ici», a-t-elle dit.