«Libération» : douche froide pour Nicolas Demorand

333

Longtemps homme de radio, normalien, brillant intervieweur mais manager contesté, Nicolas Demorand, 42 ans, qui vient de démissioner de la direction de «Libération», a raté la marche de la presse écrite, traversant en 3 ans votes de défiance, crises et chute des ventes. 

Cet intellectuel ambitieux n’aura pas réussi sa greffe à «Libération», enchaînant les désaveux de la rédaction. Né le 5 mai 1971 à Vancouver, Nicolas Demorand a peu vécu en France jusqu’à ses 18 ans, suivant son père diplomate au Canada, aux Etats-Unis, au Japon, en Belgique et au Maroc. Ancien élève de l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, intégrée en 1992, il est licencié en philosophie et agrégé de lettres modernes. Après avoir enseigné 2 ans dans un lycée, il s’attaque à la critique gastronomique, rejoignant ainsi son frère Sébastien, lui-même critique culinaire. En parallèle, il met un pied à France Culture en 1997 et collabore à plusieurs émissions, avant de rejoindre en 2002 la matinale de la radio comme présentateur. «La radio c’est mon média. Il y a une énergie, une électricité, une simplicité, une légèreté de la radio qui est absolument formidable», confiait-il. En août 2006, il rejoint la tranche d’information matinale de France Inter. Pendant 4 ans, il va y exercer ses talents, qui lui valent en 2009 le prix Philippe Caloni du meilleur intervieweur. Mais en juillet 2010, après 8 ans de matinales et 13 ans à Radio France, il décide de partir pour rejoindre la tranche 18h-20H sur Europe 1. Son autre média de prédilection est alors la télévision. En 2008-2009, il anime la tranche 18h-20H sur la chaîne d’info en continu i-Télé, puis en 2009-2011 un magazine politique sur France 5, «C politique». Début 2011, après seulement 6 mois à Europe 1, sa carrière connaît un nouveau rebondissement: à la surprise générale, il prend la direction de «Libération», où il succède à Laurent Joffrin, s’essayant pour la 1ère fois à la presse écrite. Entré en fonctions en mars, la greffe prend mal. Dès le mois de juin, il connaît sa 1ère motion de défiance, les salariés déplorant déjà son manque d’intégration et de présence à la rédaction. «Une fois que je l’ai vu à l’oeuvre, au bout de 2 ou 2 mois, ça a été la douche froide», raconte Tonino Serafini, délégué Sud à «Libération». «Il n’était pas suffisamment présent au quotidien pour faire quelque chose de cohérent au jour le jour, ni pour fixer les grands caps». S’il s’efforce de développer une stratégie pour renforcer la présence numérique du journal, Nicolas Demorand enchaîne les désaveux. En avril 2013, en plein climat de défiance de la rédaction, le Conseil de surveillance décide d’une nouvelle organisation du journal à partir de juillet. Jusqu’ici directeur du journal et directeur de la rédaction, il n’exercera plus que la 1ère fonction, la 2de étant confiée à Fabrice Rousselot, journaliste maison. Ces derniers jours: alors que le journal traverse une crise majeure entre actionnaires et rédaction, sur fond de ventes en chute libre, Nicolas Demorand finit par annoncer sa démission. Disant «espérer que ce départ profitera à l’équipe de Libé», il confie «travailler déjà sur d’autres projets». «Je pense qu’à la base, il y a eu un profond malentendu, commente un journaliste. Il a cru que son job c’était d’utiliser son nom pour aller chercher du fric, alors que les journalistes voulaient qu’il s’investisse au quotidien», poursuit-il. «C’est l’histoire d’un ratage».