Rome : le dernier «Cinema Paradiso» du porno résistera-t-il au Covid?

540

Il a survécu à la pornographie accessible à tous sur internet, mais résistera-t-il au Covid? Le dernier cinéma porno de Rome, l’«Ambasciatori», continue contre vents et marées à projeter ses films «sexy» des années 80, pour le plus grand plaisir de ses clients. A deux pas du ministère des Finances, dans un quartier résidentiel proche de la gare centrale, «Les Ambassadeurs» se repère par une banale enseigne «Ciné» sur la façade d’un immeuble cossu du début XXème siècle.
A l’entrée, un bandeau rouge tomate annonce la couleur: «Sexy movie, réservé aux adultes», avec une sélection des «productions cultes», et les «meilleures stars de l’histoire du cinéma hard». Ce soir-là, on joue «Palestra per signora» (Gymnase pour dames) et «Delirium carnale» (Déliriums charnels), films vintage aux acteurs à la coupe mulet et aux chemises à col deltaplane, parfaitement accordés aux ébouriffants brushings à la Dallas de ces dames en porte-jarretelles.
Masque chirurgical sur le nez, une dizaine d’amateurs – uniquement des hommes – ont pris place dans la magnifique salle de marbre noir, éparpillés ça et là dans la pénombre au hasard des travées de fauteuils de velours rouge. On fixe les copulations à l’écran, on fait des va-et-vient aux toilettes, on surveille son voisin du coin de l’oeil ou on vient l’aider d’une main secourable… «Le spectacle est parfois aussi dans la salle», confirme en souriant Carlo, superviseur et gérant des lieux. «Mais on s’assure que tout cela reste dans la limite du raisonnable». «Il y a du monde toute la journée», explique le quadragénaire. «Des hommes, plutôt âgés», et de rares couples «parfois en soirée». «Certains ont plus de 80 ans (…) Ils n’ont pas internet, ou ne savent pas l’utiliser. Ils viennent aussi se retrouver entre amis, pour revoir de vieux films». Ce n’est certes pas encore le Colisée, mais l’Ambasciatori est une petite institution dans la Ville éternelle, perpétuant la tradition presque éteinte des «cinémas à lumière rouge», jolie expression locale pour les cinémas érotiques. «C’est le dernier ciné porno de Rome», s’enorgueillit son gérant. Et quel cinéma! Près de 400 places, du marbre partout, un toit ouvrant et un vaste «premier balcon» à l’étage, le tout dans son jus «vintage» unique. A l’origine un théâtre – dont il reste encore la scène -, puis salle de projection classique, il est transformé par son propriétaire en cinéma porno à la fin des années 70. De la vingtaine de salles pornos de la capitale, seul l’Ambasciatori a survécu. Son premier propriétaire est mort, «mais ses héritiers ont repris le business, et l’activité continue».
Les affiches dans le hall des succès de la défunte industrie du porno italien, l’architecture, la caissière souriante derrière sa vitrine… tout ici fleure bon la nostalgie. Collé au mur, un impérieux «Ne jamais dire jamais à Rocco» indique d’ailleurs que l’étalon transalpin sera bientôt de nouveau au programme. Nichée dans une courette, au bas d’un escalier, la cabine de projection est une petite perle, digne de «Cinema Paradiso». «Tout est resté comme autrefois», lâche le technicien Claudio, maître des lieux «depuis 1988». Comme tous les cinémas italiens, l’Ambasciatori est resté fermé quatre mois à cause du coronavirus, mais a rouvert cet été en appliquant les mesures barrières. «Nous survivrons au Covid», assure Carlo. «Beaucoup de clients nous appellent pour savoir s’ils peuvent revenir». Et de conclure, songeur: «j’espère que l’Ambasciatori va perdurer, car c’est un bel univers».