TikTok Lite inquiète Bruxelles et Paris

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Des pièces virtuelles, convertibles en carte-cadeau, contre du temps passé devant des vidéos: c’est le principe de la nouvelle application TikTok Lite, soupçonnée de stimuler les comportements de dépendance notamment chez les jeunes, désormais dans le viseur de Bruxelles et Paris. La Commission européenne a réclamé mercredi à TikTok de lui fournir sous 24 heures des explications sur les risques liés au déploiement de sa nouvelle appli en France et en Espagne. Cette demande formelle intervient dans le cadre de la nouvelle législation européenne sur les services numériques (DSA) et concerne «l’impact potentiel du nouveau programme de «récompenses» sur la protection des mineurs et la santé mentale des utilisateurs», notamment «la stimulation potentielle du comportement addictif», a précisé la Commission. Lancée sans tambour ni trompette fin mars, TikTok Lite, propriété de l’entreprise chinoise ByteDance, récompense les utilisateurs avec des jetons s’ils se connectent quotidiennement pendant dix jours, s’ils passent du temps à regarder des vidéos (avec une limite de 60 à 85’ par jour) et s’ils font certaines actions, comme aimer des vidéos et suivre des créateurs de contenus. Ces pièces sont ensuite échangeables contre des cartes-cadeaux sur des sites partenaires, comme Amazon. Ce principe de «gamification», qui s’appuie sur les mécaniques du jeu, «est un phénomène de création de dépendance connu et problématique», remarque Anne Cordier, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine. Le réseau social a rappelé à plusieurs reprises que seules les personnes âgées de 18 ans ou plus pouvaient collecter des points et qu’il appliquait des procédures pour s’assurer de l’âge des utilisateurs. Un selfie avec une pièce d’identité, un selfie vidéo ou une autorisation de carte bancaire est ainsi nécessaire pour convertir les pièces en bons d’achat, a indiqué TikTok. Mais l’entreprise peine à convaincre. «C’est le top de l’hypocrisie», pour Anne Cordier. «Ils savent pertinemment que le contournement sera possible». «L’âge est très compliqué à vérifier. On peut toujours prendre la carte bancaire de ses parents», abonde Maria Mercanti-Guérin, maître de conférence en marketing digital à l’Institut d’administration des entreprises de Paris. La secrétaire d’Etat française chargée du Numérique, Marina Ferrari, a estimé mercredi que la demande d’information de la Commission européenne «allait dans le bon sens». Elle avait fait part de «son inquiétude» dès le lancement de TikTok Lite. Ses services étudient «avec la plus grande attention les mécanismes de l’interface» qualifiés «de dérive contestable» au moment où la France a entamé «une réflexion sur le «temps d’écran»», en particulier chez les jeunes utilisateurs, a-t-elle déclaré. Avec ses clips vidéo souvent dansants ou musicaux, TikTok, qui a séduit plus de 1,5 milliard d’utilisateurs dans le monde, est accusé depuis plusieurs années aux Etats-Unis et en Europe d’accaparer l’attention des jeunes. Le réseau social, qui a assuré être en contact direct avec Bruxelles au sujet de TikTok Lite et avoir l’intention de fournir une réponse, était déjà sous le coup d’une enquête de la Commission, ouverte en février, pour manquements présumés en matière de protection des mineurs dans le cadre du DSA. TikTok cherche surtout à attirer de nouvelles personnes et lutter contre la stagnation de la croissance des utilisateurs en Europe, selon le média américain «The Information», qui a eu accès à un document interne à l’entreprise. «Un réseau social qui ne croît pas meurt», résume Maria Mercanti-Guérin. A travers les récompenses, il s’agit aussi d’améliorer l’engagement des utilisateurs, nerf de la guerre dans ce type d’industrie. C’est «leur crédibilité publicitaire qui est en jeu, parce que les marques n’investissent pas sur des réseaux qui ont des faibles taux d’engagement», souligne Mme Mercanti-Guérin.