Une industrie de l’animation en plein renouveau en Russie

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Avec ses dizaines de graphistes concentrés devant leurs écrans et ses contrats avec Netflix, le studio Parovoz incarne une industrie de l’animation en plein renouveau en Russie. Au détriment, regrettent certains amateurs, de la tradition de cinéma d’auteur héritée de la période soviétique. Les autorités russes ont investi massivement pour redresser ce secteur ruiné, comme bien d’autres, après la chute de l’Union soviétique, ce qui a débouché sur des accords conclus à l’international par le studio public Parovoz. «Pour chaque marché, nous avons un produit», assure le DG Anton Smetankine dans les locaux de ce studio à Moscou, où une armée d’animateurs dessinent visages et décors sur ordinateur. «Nous avons pris le meilleur de l’école russe: les relations entre les personnages, l’amitié, l’entraide», commente Evgueni Golovine, le directeur artistique du studio. «Tous nos films sont pleins de bonté et peuvent être vus par des enfants de tous âges». Créé en 2014, Parovoz («Locomotive» en russe) a connu un développement fulgurant, passant d’une vingtaine d’employés à 300, et produit des séries animées diffusées dans 55 pays. Il fait partie d’une holding fondée par VGTRK, la principale entreprise audiovisuelle publique en Russie.En septembre dernier, la plateforme américaine Netflix lui a acheté deux séries, dont l’une, «Leo et Tig», raconte les aventures d’un tigre et d’un léopard en Sibérie. Au printemps 2018, la holding de Parovoz a signé deux accords avec la Chine. Une dizaine de séries du studio ont été doublées et adaptées «aux spécificités culturelles» du marché chinois. Elles sont maintenant diffusées sur les 4 principales plateformes de vidéo du pays. A la clef, une audience potentielle de plus de 1,5 milliard d’utilisateurs par mois. En comparaison, Netflix revendiquait en janvier 139 millions d’abonnés. Saluée mondialement du temps de l’URSS pour son inventivité et ses univers hautement poétiques, l’école d’animation russe revient pourtant de loin. Dans les années 1990 et 2000, Soïouzmoultfilm, studio public à l’origine des chefs-d’oeuvre soviétiques, a perdu le contrôle de son catalogue à la suite de déboires financiers. En 2011, Vladimir Poutine, alors Premier ministre, prend la situation en main pour restaurer l’image autrefois prestigieuse du secteur. «Vous vous faites voler et vous ne dites rien», déplore-t-il lors d’une rencontre avec des professionnels dont Iouri Norstein, auteur du «Hérisson dans le brouillard» (1975), un célèbre court-métrage sur le voyage méthaphorique d’un petit mammifère perdu dans la nature. Il regrette que le nombre d’heures produites chaque année ait fondu, passant d’environ 400 heures pendant la période soviétique à une vingtaine en 2011. Le gouvernement rend alors à Soïouzmoultfilm les droits sur son catalogue et y investit en 5 ans près de 900 millions de roubles (12 millions d’euros), selon le journal «Kommersant». L’équipement est rénové, l’entreprise obtient de nouveaux locaux. Mais c’est une série du studio privé Animaccord qui incarne le mieux le retour de l’animation russe dans le monde: «Masha et Michka». Depuis 2009, les espiègleries de cette fillette russe et d’un ours cumulent plusieurs milliards de vues sur Youtube et rapportent des centaines de millions d’euros en produits dérivés. «Notre sujet, qui tourne sur le principe de l’enfant et du parent, est universel. Il offre une bonne dose d’humour et de réflexion pour ces deux publics», affirme Vladimir Gorboulia, le PDG d’Animaccord. Encouragées par ce succès, les autorités ont renforcé leur soutien au secteur, annonçant en février une hausse massive des subventions et mettant en place des réductions fiscales. «Il y a une volonté que nos enfants regardent nos dessins animés basés sur nos codes culturels, notre mentalité, notre langue et notre culture», soutient Irina Mastousova, directrice de l’association russe du cinéma d’animation. Elle évoque une industrie «en devenir» employant «3.000 personnes», loin encore de la machine hollywoodienne.