Belmondo, rendez-vous raté avec l’Amérique

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Jean-Paul Belmondo caressant ses lèvres face à un portrait d’Humphrey Bogart: ce plan inoubliable d’«A bout de souffle» est trompeur, la star française n’ayant jamais eu la carrière hollywoodienne qu’on aurait pu imaginer. Bébel n’est pas un inconnu aux Etats-Unis, ses rôles dans les films de Godard ayant marqué des générations de cinéastes. Pour preuve son adoubement il y a huit ans par le réalisateur Quentin Tarantino, sur la scène du Festival Lumière, à Lyon: Belmondo est un acteur «qui représente la vitalité, le charisme, une force de la nature, la super-coolitude», et dont le poster a figuré pendant 20 ans dans la chambre «de tous les collégiens et les cinéphiles», loue le cinéaste. Après la mort de Belmondo, la bible du cinéma américain, le «Hollywood Reporter», a même écrit qu’il était vu comme «un mélange entre Humphrey Bogart et James Dean», dont la prestation dans «A bout de souffle» a ouvert la voie à «des stars au look de tous les jours, comme De Niro, Pacino ou (Dustin) Hoffman». Pourtant, malgré sa présence à l’écran digne des plus grands, Belmondo n’a jamais transformé l’essai à Hollywood. Au milieu des années 1960, celui qui a déjà un rythme de tournage effréné, avec quatre ou cinq films par an, vit une idylle avec Ursula Andress, actrice suisse qui a accédé à la célébrité dans son rôle de James Bond Girl sortant de l’eau, dans «007 contre Dr No». Cette dernière l’emmène aux Etats-Unis, où elle lui présente ses amis et connaissances, rappelle Guillaume Evin, auteur de «Belmondo, le livre tac tac badaboum». La star française rencontrera Warren Beatty, Dean Martin, Frank Sinatra, Barbra Streisand ou encore Kirk Douglas. En 1966, il partage l’affiche d’une grosse production franco-américaine de la Paramount, «Paris brûle-t-il?», de René Clément, avec Leslie Caron et Charles Boyer. Puis, en 1967, il apparaît dans une parodie de James Bond, «Casino Royale», avec Ursula Andress, dans lequel il joue un rôle de légionnaire français. Le compagnonnage de Belmondo avec Hollywood n’ira pas plus loin. «Il a aimé voir cet Hollywood de paillettes. Il était invité aux fêtes, il avait son air décontracté mais en fait ça l’a pas emballé plus que ça», explique Guillaume Evin. Belmondo aurait probablement été cantonné à des rôles-clichés, ajoute-t-il – à l’image de sa prestation dans «Casino Royale», moustache, képi tricolore sur la tête et accent à couper au couteau. «On peut s’étonner qu’un acteur de l’envergure de Belmondo n’ait pas tenté sa chance. Il a été sollicité (par Hollywood) dans les années 1960 mais il a toujours refusé. Pour lui, il valait mieux être roi en France, que second couteau ailleurs». «Toute une génération d’acteurs français n’avait pas besoin d’aller aux Etats-Unis. L’industrie du cinéma français était florissante, du côté artistique comme du côté des films populaires. Les acteurs comme Belmondo avaient assez à faire», confirme le critique britannique Jonathan Romney. 

Quant à Hollywood, l’industrie n’était pas forcément alors en quête de talents français, mais plutôt, à la limite, d’accents italiens. Autre idole de sa génération, Brigitte Bardot a vu sa notoriété exploser aux Etats-Unis dès ses débuts avec le film de Roger Vadim «Et dieu créa la femme…», avant de se concentrer sur le cinéma français tandis que Delon a fait une courte carrière hollywoodienne. Rien à voir avec le parcours, des décennies plus tard, d’une actrice française comme Marion Cotillard, Oscar en 2008 pour «La Môme», qui a percé à Hollywood, au point d’y trouver parfois une reconnaissance plus importante qu’en France.