Il y a urgence à réguler les données (lanceur d’alerte Christopher Wylie)

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Pour le lanceur d’alerte Christopher Wylie, qui a fait éclater il y a deux ans l’affaire Cambridge Analytica, plus grand scandale en matière de protection des données, cet événement a démontré la puissance des données personnelles et l’urgence de réguler Facebook et les autres sociétés technologiques, au même titre que l’industrie du pétrole ou du tabac. En mars 2018, le «Guardian», le «NYT» et la chaîne britannique Channel 4 révélaient que la société d’analyse de données Cambridge Analytica avait récolté à leur insu les données personnelles de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook en vue d’influencer des élections, notamment aux Etats-Unis, et ce grâce au témoignage et à des documents confidentiels fournis par Christopher Wylie, jeune informaticien brillant qui avait participé à la création de cette entreprise. Même si une amende record et géante (5 milliards de dollars) a été infligée à Facebook aux Etats-Unis en juillet dernier, les conséquences de ce scandale retentissant peuvent sembler pour l’heure limitées. Mais pour le lanceur d’alerte, dont le livre témoignage, «Mindf*ck» sortait mercredi en français chez Grasset sous le titre «Mindfuck, le complot Cambridge Analytica pour s’emparer de nos cerveaux», il a permis de changer totalement la donne. «Cambridge Analytica et l’alerte lancée ont rendu tout le monde conscient de la puissance des données. Elles peuvent avoir des conséquences très sérieuses dans la vie réelle, comme de changer qui est élu président des Etats-Unis ou d’un autre pays», explique-t-il. Alors que dans l’affaire de surveillance massive des communications électroniques révélée par un autre lanceur d’alerte, Edward Snowden, un utilisateur lambda pouvait se dire qu’il n’était pas vraiment concerné, «cette fois, avec Facebook, Cambridge Analytica et toutes les entreprises qui utilisent ces techniques, c’est vous qui êtes la cible», raconte-t-il. «Et au moins, on parle désormais de ça, alors qu’avant on en parlait pas du tout. Les journalistes et la société dans son ensemble ont longtemps gobé l’idée que l’industrie technologique était bonne et ne commettait aucun mal», dit-il. Or, «ce qu’on voit désormais, c’est que les grands groupes technologiques sont comme tous les autres industriels, et quand ils sont au pied du mur et que leurs bénéfices sont en jeu, ils prennent des décisions comme les entreprises du pétrole ou du tabac. Et pour moi, ça démontre que leur comportement justifie qu’ils soient régulés et contrôlés par des instances indépendantes», plaide-t-il. Il formule dans son livre plusieurs propositions, comme celle de doter les informaticiens d’un code éthique, au même titre que des professions hautement régulées en raison de leur impact sur la société, comme les médecins ou les avocats. Il dresse aussi le parallèle avec l’industrie du bâtiment, qui doit respecter de nombreuses normes de sécurité, alors que dans le numérique, tout repose sur le principe que c’est au consommateur de faire attention à qui il confie ses données, sans qu’il ait les moyens de s’assurer qu’elles sont réellement protégées. «Si nous voulons empêcher un nouveau scandale Cambridge Analytica, nous devons commencer par réguler l’infrastructure numérique (…), en allant au-delà de la protection des données, en s’attaquant à la façon même dont les systèmes sont conçus et en se demandant si l’on veut vraiment autoriser des mécanismes qui permettent de manipuler» les comportements des utilisateurs, explique-t-il. Dans son livre, il détaille l’utilisation pernicieuse par Cambridge Analytica de technologies de profilage psychologique et de micro-ciblage pour attiser la haine et des sentiments xénophobes au sein de la population américaine, une stratégie au service de la propagande de l’«alt-right» (droite extrême) sous l’égide de Steve Bannon, l’ex-conseiller de Donald Trump et cofondateur de l’entreprise.